Le cas de Léa est entièrement fictif et a été élaboré à des fins illustratives. Il présente plusieurs facteurs de risque de l’anxiété sociale, tels que décrits dans la littérature scientifique.
Léa, 33 ans, consulte une psychologue parce qu’elle n’arrive pas à trouver l’amour et fonder une famille en raison de la peur excessive et persistante d’être jugée négativement par les autres. Elle appréhende pendant des semaines les dates auxquelles elle est invitée. Une fois sur place, elle a de la difficulté à maintenir la conversation. Après chaque date, elle passe des semaines à repenser à ses paroles et ses gestes en craignant qu’ils aient été mal interprétés. Léa en ressort épuisée. Elle préfère souvent éviter les situations sociales, mais cela l’amène à se sentir très seule. Après quelques séances, Léa reçoit un diagnostic de trouble d’anxiété sociale. Léa explique à sa psychologue que, pour elle, cela provient de l’intimidation et du rejet social qu’elle a vécus pendant son parcours scolaire.
Bien que les études indiquent que les expériences d’intimidation et de rejet peuvent contribuer au développement du trouble d’anxiété sociale, tous les enfants intimidés ne le développeront pas à l’âge adulte. On peut alors se demander : quels autres facteurs de risque contribuent au développement du trouble d’anxiété sociale à l’âge adulte ?
Le trouble d’anxiété sociale n’a pas une seule cause. Il résulte plutôt d’une multitude de facteurs différents, tels que les facteurs familiaux, les facteurs liés à la personnalité et au tempérament, et les facteurs environnementaux (p. ex., l’intimidation).
Facteurs familiaux : styles parentaux
1) Les études indiquent que les parents qui expriment une grande inquiétude à l’idée de se faire juger et qui dramatisent les conséquences potentielles des interactions sociales contribuent à augmenter la vulnérabilité de leur enfant à vivre un trouble d’anxiété sociale1. Par exemple, la mère de Léa lui répétait souvent de soigner son apparence pour éviter que les autres aient une mauvaise opinion d’elle (p. ex., éviter des chaussettes colorées). De plus, elle lui mentionnait fréquemment d’arrêter certains comportements qui, selon elle, pourraient être jugés par autrui comme « bizarres », sans quoi les autres ne voudraient plus l’inviter à leurs fêtes et elle se retrouverait sans ami·es.
2) Les parents qui surcontrôlent et/ou surprotègent leurs enfants peuvent nuire à leur estime d’eux-mêmes et brimer le développement de leur capacité à interagir avec les autres. Ce style parental communique également à l’enfant qu'il est incapable de faire face à des situations difficiles et qu’il a besoin d'être protégé d'un monde dangereux1. Par exemple, chaque fois que Léa avait une chicane avec ses ami·es, sa mère s’impliquait en parlant elle-même à ses ami·es afin de résoudre le conflit pour elle. Léa se sentait inadéquate et avait l’impression que sa mère n’avait pas confiance en ses habiletés sociales. Ce manque de confiance en ses compétences a contribué à la rendre plus vulnérable au rejet et à l’intimidation de la part de ses pairs.
3) Les personnes avec un trouble d’anxiété sociale indiquent souvent avoir eu des parents qui étaient peu chaleureux, plus distants, critiques ou humiliants1. Ces comportements parentaux peuvent amener un enfant à se sentir inadéquat ou anormal, ce qui peut nuire à sa confiance en soi et renforcer sa peur d’être jugé. Chez Léa, elle raconte que sa mère jugeait négativement certains de ses intérêts et lui faisait couramment des remarques pleines de reproches : « C’est bizarre à quel point tu aimes les célébrités… moi, à ton âge, ça ne m’intéressait pas ».
4) Les parents plus isolés socialement exposent moins leurs enfants à des situations sociales1. En fait, ces enfants bénéficient de moins d’expériences sociales positives ou d’occasions pour pratiquer et développer des compétences sociales. Ils sont alors plus à risque de faire de l’évitement social, ce qui favorise le développement d’un trouble d’anxiété sociale. Dans le cas de Léa, ses parents n'avaient que peu d'ami·es et passaient tout leur temps libre en famille au chalet. Léa avait ainsi peu d’occasions de socialiser avec des personnes de son âge, notamment lors d'activités sportives ou parascolaires qui se déroulaient souvent la fin de semaine. Ce manque d'exposition à des expériences sociales variées a affecté les habiletés sociales de Léa, qui s’est mise à craindre ces interactions et à se sentir inadéquate.
Facteurs liés à la personnalité et au tempérament
La personnalité et le tempérament ne causent pas directement le développement d’un trouble d’anxiété sociale, et plusieurs individus les possédant ne le développeront jamais. Toutefois, ils peuvent rendre plus susceptible le développement de ce trouble. Léa a certaines dimensions de personnalité qui, en combinaison avec le style parental et l’intimidation vécue, l’ont rendue davantage à risque de développer un trouble d’anxiété sociale.
Névrosisme. Le névrosisme est une dimension de personnalité caractérisée par une grande sensibilité aux émotions douloureuses, une instabilité émotionnelle et une tendance à réagir plus fortement aux situations stressantes2. Par exemple, le névrosisme de Léa pourrait se manifester de la manière suivante : dans une situation ambiguë lors d’une date, Léa pourrait interpréter le sourire de son·sa partenaire comme une moquerie plutôt qu’une marque d’affection. Cette tendance à voir les interactions sous un angle négatif peut lui faire croire que la majorité de ses dates ne se déroulent pas bien3, ce qui peut diminuer son estime de soi et renforcer son évitement et son anxiété liée au monde du dating. Par ailleurs, notons que le névrosisme est influencé par des facteurs comme les expériences passées ou le soutien social, qui peuvent en atténuer ou en aggraver les effets4.
Introversion. Les personnes introverties se ressourcent souvent en passant du temps seules (p. ex., lecture, art) et préfèrent se concentrer sur leur monde intérieur plutôt que de rechercher la stimulation sociale2. Si certaines interactions sociales peuvent les fatiguer, cela ne signifie pas qu’elles les évitent systématiquement, mais plutôt qu’elles les choisissent avec soin. Cependant, lorsqu’une personne a vécu des expériences sociales négatives, ces interactions peuvent devenir une source d’anxiété. Par exemple, après avoir été victime d’intimidation, Léa a trouvé refuge dans ses romans et son monde intérieur, ce qui a contribué à son évitement social et au maintien de son anxiété.
Inhibition comportementale. Cette dimension de la personnalité est caractérisée par une tendance à se retirer lorsqu’une personne est confrontée à des choses peu familières, y compris des situations sociales nouvelles5. Léa a toujours été plutôt timide et avait tendance à se cacher derrière ses parents lors de situations sociales inconnues. Ce manque d’exposition aux situations nouvelles a pu diminuer ses opportunités de s’habituer à interagir avec des personnes variées dans différents contextes, augmentant ainsi sa sensibilité à vivre de l’anxiété sociale au fil du temps, jusqu’à développer un trouble d’anxiété sociale.
Facteurs environnementaux : expériences d’intimidation et de rejet
Comme mentionné plus haut, les expériences répétées d’intimidation et de rejet peuvent contribuer au développement du trouble d’anxiété sociale. Chez Léa, ces situations ont menacé son besoin d’être acceptée et l’ont amenée à se sentir inadéquate dans les relations sociales. Elle a ainsi développé une peur des interactions sociales, ce qui est fréquent chez les personnes ayant vécu de l’intimidation. Cette peur pousse souvent à éviter les situations sociales qui sont source de détresse, ce qui renforce l’idée qu’elles sont « dangereuses », et entretient l’anxiété sociale1.
Conclusion
L’intimidation contribue au développement du trouble d’anxiété sociale, mais ce facteur n’est pas suffisant. Ce trouble résulte davantage d’une interaction complexe entre des expériences relationnelles négatives (p. ex., l’intimidation), des facteurs environnementaux (p. ex., styles parentaux) et biologiques (p. ex., personnalité). Ce trouble a été, pour Léa, une manière de s’adapter aux demandes de son environnement, mais qui a entravé son fonctionnement adulte et l’atteinte de ses objectifs personnels1, dont sa recherche d’une relation amoureuse.
Toutefois, il existe plusieurs facteurs de protection et des situations aidantes qui peuvent faire obstacle au développement de ce trouble chez un enfant intimidé, même s’il y a la présence d’autres facteurs de risque. Par exemple, l’accès à un soutien psychologique, un milieu scolaire qui lutte contre l’intimidation et la présence de relations positives avec les pairs malgré le contexte d’intimidation constituent des facteurs de protection. De plus, les manifestations du trouble d’anxiété sociale peuvent être apaisées en reconnaissant et en validant le vécu d’intimidation, et en s’appuyant sur des relations positives et sécuritaires4.
Lorsqu’on ressent une détresse et que celle-ci a un impact significatif sur sa vie, il est recommandé d’aller chercher de l’aide professionnelle, comme un suivi psychothérapeutique. Si vous souhaitez obtenir des ressources d’information et de soutien, ou pour obtenir des soins ou des services pour l’anxiété sociale, consultez la page : Trouver une ressource d’aide et de soutien en santé mentale.
Pour citer cet article : Lebeau, R., Ledoux-Labelle, M.-J., et Godbout, N. (2025, 16 juin). Un enfant intimidé est-il condamné à vivre de l’anxiété sociale ? Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/un-enfant-intimide-est-il-condamne…
La publication de cet article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
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