Dans les dernières années, au Québec et ailleurs dans le monde, la violence relationnelle dans les relations intimes a fait l’objet d’une importante couverture médiatique et scientifique1 . La violence relationnelle est ici entendue comme une forme de domination où un⋅e des partenaires prend le contrôle sur l’autre par le biais de violences de diverses formes2 :
- Physiques : par exemple, agression physique envers la personne, ses objets ou son animal de compagnie;
- Psychologiques : chantage, fausses accusations, menaces;
- Financières : contrôle financier, dépendance financière forcée;
- Sexuelles : agression sexuelle, harcèlement sexuel, coercition;
- Verbales : insultes, propos humiliants.
Malgré cette importante attention des médias et de la communauté scientifique, la sensibilisation demeure principalement axée sur les couples hétérosexuels1 . Cette attention inéquitablement répartie garde dans l’ombre la violence relationnelle entre femmes. En plus d’invisibiliser leurs expériences, la rareté des écrits scientifiques à leur sujet limite le développement d’interventions adaptées à leurs besoins1 .3 . Pour renverser cette tendance, il importe d’être sensible aux fausses croyances concernant la violence relationnelle entre femmes, d’être informé⋅e des caractéristiques de cette violence ainsi que d’être conscient⋅e du manque de services spécialement conçus pour cette population.
L’abondance de fausses croyances
Les fausses croyances au sujet de la violence relationnelle entre femmes sont nombreuses. Trois de celles-ci sont particulièrement susceptibles de teinter notre perception de leur réalité :
- Premièrement, plusieurs imaginent que la violence, qu’elle soit physique, psychologique ou sexuelle, n’est pas possible entre des partenaires de genre féminin. En effet, dans l’imaginaire collectif, de tels agissements ne peuvent être commis que par des hommes1 . Certaines personnes croient même que les relations de couples entre femmes sont nécessairement dénuées de tout désagrément relationnel et qu’elles sont, en quelque sorte, parfaites4 . Cette croyance s’explique par le fait que durant leur développement, les filles et les femmes sont fortement incitées à développer leurs habiletés relationnelles et de communication, souvent associées à l’harmonie relationnelle1 .
- Deuxièmement, certain⋅e⋅s pensent que la violence dans les relations intimes entre femmes est forcément mutuelle ou symétrique. Autrement dit, certaines personnes croient que puisque que les partenaires sont du même genre, la violence serait forcément bidirectionnelle ou réciproque et que la responsabilité de celle-ci serait partagée1 . Cette croyance se fonde sur la manière dont nous nous représentons la victime et l’agresseur, qui implique une asymétrie de la violence d’un agresseur masculin envers sa victime féminine1 . Selon cette représentation, la violence relationnelle ne serait pas possible d’une femme envers une autre, ce qui est faux.
- Troisièmement, lorsque la violence relationnelle est détectée dans les relations intimes entre femmes, elle est presque systématiquement attribuée à la partenaire ayant une apparence plus masculine. Encore une fois, cela est attribuable à la manière dont nous nous représentons certains rôles de genre (par exemple, masculin = agressif et féminin = passif). Il est possible de qualifier ce phénomène de « butchophobie »1 .
Ultimement, ces trois croyances s’entremêlent et peuvent brouiller notre compréhension du phénomène dans son ensemble. En effet, la violence au sein des relations entre femmes est beaucoup plus nuancée que ce que ces fausses croyances ne l’indiquent.
La méconnaissance des caractéristiques de la violence relationnelle entre femmes
Les études qui se penchent sur la violence relationnelle entre femmes ont tendance à mélanger les différentes formes de violence (physique, sexuelle, psychologique, etc.). Cela limite notre capacité à bien comprendre ce que ces femmes vivent et le contexte dans lequel cette violence survient. Malgré cette confusion, les écrits s’entendent généralement sur trois points :
- D’abord, la violence psychologique ou émotionnelle (dénigrement, humiliation, chantage, etc.) est la forme de violence la plus répandue chez les femmes ayant des relations intimes avec des femmes5 .
- Ensuite, comparativement aux femmes hétérosexuelles, il est plus ardu pour les femmes subissant la violence relationnelle d’une partenaire féminine de reconnaître et de dénoncer ce qu’elles vivent. Cette difficulté supplémentaire s’explique par la croyance liée à la symétrie de la violence et par le caractère sournois de la violence psychologique1 ,4 . Par ailleurs, sur le plan de la violence sexuelle, il importe de rappeler que la sexualité entre femmes est moins centrée sur la pénétration que celle de la population hétérosexuelle6 . Or, dans l’imaginaire collectif, seule la pénétration constituerait une « véritable » violence sexuelle puisque celle-ci est considérée, par plusieurs, comme la seule forme de sexualité « complète »7 . Dès lors, on peut comprendre qu'une représentation pénétrative de la violence sexuelle est inadaptée à la sexualité entre femmes puisqu’elle ne rend pas compte de l’éventail de leurs pratiques sexuelles. En somme, les femmes ayant des relations intimes avec des femmes peuvent cumuler les incidents de violence avant de reconnaître la gravité de la situation et d’envisager mettre fin à la relation.
- Finalement, il existe une différence entre les femmes s’identifiant comme bisexuelles et celles s’identifiant comme lesbiennes. En effet, près des deux tiers des femmes bisexuelles ont été victimisées (61%; viol, violence physique et/ou stalking, etc.) alors que, chez les femmes lesbiennes, ce sont un peu moins de la moitié (44%)5 . Certain⋅e⋅s auteur⋅rice⋅s émettent l’hypothèse que cette différence puisse s’expliquer par l’homophobie des partenaires masculins des femmes bisexuelles qui les motiverait à perpétrer des actes de violence relationnelle à l’endroit de celles-ci7 .
L’absence de services spécialisés
Les femmes qui subissent de la violence relationnelle d’une partenaire féminine disposent de très peu de ressources pour les aider. Les ressources en violences sexuelles et conjugales manquent de disponibilités pour les usagères et doivent restreindre leurs services afin de privilégier les femmes victimes de violence physique. Cela discrimine les femmes ayant des relations intimes avec des femmes puisqu’elles sont généralement victimes de formes de violences plus subtiles, telles que la violence psychologique et émotionnelle1 . De plus, le seul centre spécialisé en violences sexuelles et conjugales entre femmes du Québec, le Centre de solidarité lesbienne, se situe à Montréal et n’offre pas de services 24/7. Il ne peut donc pas venir en aide aux femmes en dehors de ses heures d’ouverture ou à l’extérieur de Montréal.
Que faire pour lutter contre cette problématique ?
Reconnaître les violences relationnelles entre femmes permet de mieux les prévenir et de mieux intervenir lorsqu’elles surviennent. Voici quelques pistes pour contribuer à jouer un rôle de citoyen⋅ne informé⋅e dans la lutte contre les violences relationnelles entre femmes :
- Réfléchissez à vos idées préconçues au sujet de la violence relationnelle entre femmes afin de déconstruire les stéréotypes et les préjugés qui pourraient vous habiter.
- Demeurez à l’affût et critique des messages véhiculés par les médias au sujet de la violence relationnelle au sein des relations intimes entre femmes.
- Parlez des particularités de la violence relationnelle entre femmes auprès de votre entourage.
- Consultez la liste de ressources ci-dessous pour compléter vos connaissances au sujet de la violence relationnelle entre femmes.
- Gardez en tête que le vécu des femmes en relation intime avec d’autres femmes pourrait varier selon leur orientation sexuelle (par exemple, bisexuelles ou lesbiennes). Bien que l’étude citée plus haut dans ce texte ait contrasté ces deux orientations, le portrait des femmes d’autres orientations sexuelles (par exemple, pansexuelles ou queer) pourrait aussi avoir certaines spécificités qui leur sont propres.
- Si vous vous êtes reconnue ou avez reconnu la réalité d’une personne de votre entourage en lisant cet article, considérez contacter une personne de confiance ou une ressource spécialisée.
- Partagez cet article à votre entourage afin de sensibiliser un plus grand nombre de personnes à cette problématique.
La violence relationnelle dans les couples de femmes passe trop souvent inaperçue. Il importe de combiner nos efforts pour la faire connaître et, ultimement, pour la prévenir!
Ressources
- Centre de solidarité lesbienne : Ressource spécialisée pour la violence dans les relations intimes entre femmes et rubrique d’information sur la problématique
- Pour accéder à une intervenante du Centre de solidarité lesbienne de Montréal. Il est aussi possible d’écrire un courriel à aide@solidaritelesbienne.qc.ca ou d’appeler au (514) 526 2452.
- L’R des centres de femmes du Québec : Liste des centres d’aide pour femmes selon les régions.
- SOS Violence conjugale : Rubriques d’informations et de ressources, pistes pour mieux dépister si une relation est violente, et ligne d’écoute par chat, par courriel au sos@sosviolenceconjugale.ca, par téléphone 1 (800) 363-9010, ou par textos au (438) 601-1211.
- Regroupement des centres d'intervention de crise du Québec : Permet d’accéder aux organismes existants selon les régions (p.ex., prévention du suicide)
- Pour de l’aide immédiate : Composez le 911
Cet article de blogue a originalement été rédigé dans le cadre du cours Victimisation sexuelle et interpersonnelle enseigné par notre membre Marianne Girard, au département de sexologie de l’UQAM à l’automne 2022 La publication de article a aussi été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec..
- 1 a b c d e f g h i j Queyroi, I. (2021). Des bleus sur l'arc-en-ciel : Archéologie des dynamiques de violence dans le couple lesbien. [Thèse de doctorat, Université de Montréal]. Papyrus. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/26236/Quey…
- 2Gouvernement du Québec (2022). Définition de la violence conjugale. https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/violences/violen…
- 3Walters, M. L., Chen, J., et Breiding, M. J. (2013). The national intimate partner and sexual violence survey: 2010 findings on victimization by sexual orientation. National Center for Injury Prevention and Control, Centers for Disease Control and Prevention. https://stacks.cdc.gov/view/cdc/12362
- 4 a b Miller, D. H., Greene, K., Causby, V., White, B. W., et Lockhart, L. L. (2001). Domestic violence in lesbian relationships. Women & Therapy, 23(3), 107-127. https://doi.org/10.1300/J015v23n03_08
- 5 a b Badenes-Ribera, L., Bonilla-Campos, A., Frias-Navarro, D., Pons-Salvador, G., et Monterde-I-Bort, H. (2016). Intimate partner violence in self-identified lesbians: A systematic review of its prevalence and correlates. Trauma, Violence & Abuse, 17(3), 284–97. https://doi.org/10.1177/1524838015584363
- 6Gonçalves, F. M. (2018). Étude exploratoire sur le vécu des femmes s'identifiant lesbiennes (personnes se qualifiant en tant que telles) en matière de besoins et ressources en santé sexuelle. [Mémoire de maîtrise, Université de Lausanne]. Serval. https://serval.unil.ch/fr/notice/serval:BIB_S_27250
- 7 a b Bissonnette, L. (2020). Intervention auprès des adultes en centres désignés pour les victimes d'agression sexuelle : enjeux soulevés par les mythes et la culture du viol au Québec. [Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal]. Archipel. https://archipel.uqam.ca/14927/#:~:text=Bissonnette%2C%20Laurie%20(2020….