Maxime et Charlie sont ensemble depuis trois ans. Il arrive parfois que, durant la nuit, Charlie se réveille avec l’envie d’avoir des contacts sexuels avec Maxime. Habituellement, après son réveil, Charlie se tourne vers Maxime, l’enlace, l’embrasse et met ses mains sous son pyjama. La plupart du temps, Maxime apprécie ce genre de rapprochements nocturnes et répond positivement aux avances de Charlie. Toutefois, il arrive que Maxime ait tout simplement envie de dormir. Ces moments se déroulent toujours de la même façon : Maxime s’éloigne doucement de Charlie en exprimant vouloir dormir. Charlie se rapproche de Maxime et insiste davantage : « Ahh allez, force-toi un peu ça va être l’fun ». Quand Maxime répète préférer dormir, Charlie se frustre : « Ok mais là, je fais quoi moi? Tu devrais répondre à mes besoins sexuels me semble! Tu fais exprès pour que j’aille voir ailleurs ou quoi? ».
Lorsqu’on parle de violence dans les relations intimes, pour plusieurs, l’image qui vient à l’esprit est celle d’un homme en colère qui serre le poignet de sa partenaire, l’insulte, ou contrôle ses contacts avec ses ami·e·s et sa famille. Or, il existe une autre forme de violence qui est rapportée dans une relation intime sur deux1 . Cette forme demeure pourtant peu connue: il s'agit de la coercition sexuelle subtile. Le terme « coercition sexuelle » comprend tout un éventail de comportements, comme l’insistance, le chantage, la pression et l’utilisation de la force physique ou d’une arme, pour forcer l’autre à avoir des contacts sexuels. Dans les relations intimes, la coercition sexuelle prend plus souvent la forme de comportements insistants plus subtils qui peuvent être confondus avec des tactiques maladroites de séduction. Quant à elle, la coercition sexuelle subtile décrit le fait de manipuler l’autre pour faire en sorte qu’iel se sente obligé·e d’avoir des contacts sexuels2 .
Il est rare que les partenaires d’une relation intime aient toujours le même niveau de désir sexuel. Ainsi, la majorité des individus peuvent vivre des moments où l’un·e des partenaires dans leur relation tente un rapprochement sexuel, mais l’autre refuse ses avances. Plusieurs personnes auront tendance à réagir à ce genre de refus en insistant davantage pour séduire ou persuader l’autre. Bien que cette insistance ne soit pas toujours néfaste, elle peut être nuisible si elle a pour but de faire sentir l’autre obligé·e d’avoir des contacts sexuels ou coupable de ne pas en vouloir.
Les personnes qui usent de coercition sexuelle subtile font appel à des stratégies variées quand elles font face à un refus sexuel de la part de leur partenaire. Par exemple, elles peuvent :
- Laisser sous-entendre que des faveurs ont été / seront offertes ou retirées en échange de sexualité : « Je t’ai offert une super belle soirée en amoureux⋅ses, tu pourrais au moins me remercier »;
- Utiliser « l’amour » pour rendre la sexualité obligatoire : « Si tu m’aimais vraiment tu aurais envie de moi aussi »;
- Menacer d’avoir des contacts sexuels ou d’entreprendre une relation amoureuse avec une autre personne afin de forcer une relation sexuelle : « Si ça ne te tente pas, j’en connais d’autres qui sont intéressé·e·s ».
La coercition sexuelle subtile peut avoir des conséquences négatives importantes, comme l’éloignement des partenaires, une baisse du désir sexuel et même le stress posttraumatique. Malgré ces conséquences, la coercition sexuelle subtile entre partenaires intimes est souvent minimisée et normalisée. Des chercheur·e·s ont attribué cela au phénomène de préséance sexuelle : c’est de s’attendre à ce que l’autre demeure disponible et intéressé⋅e à des contacts sexuels avec soi lorsqu’il y a déjà eu un contact sexuel par le passé3 . Dans les relations, ce genre de « contrat implicite », ou d’attente non clairement discutée entre partenaires de disponibilité sexuelle, pourrait faire en sorte que des comportements subtils de coercition sexuelle ne soient pas reconnus comme étant aussi nocifs qu’ils le sont réellement.
Dans une étude menée par le Laboratoire de recherche sur le couple et la sexualité de l’Université de Sherbrooke (dirigé par Professeure Audrey Brassard), nous avons examiné certains facteurs qui pourraient expliquer la coercition sexuelle subtile dans les relations intimes4 . Nos résultats ont montré que celleux qui sont moins confortables avec l’intimité émotionnelle et qui ont de la difficulté à se montrer vulnérables (évitement de l’intimité), ou qui sont fortement préoccupé·e·s à l’idée d’être abandonné·e·s par leur partenaire (anxiété d’abandon) ont tendance à adopter plus de comportements négatifs lors des conflits, tels que de blâmer ou de critiquer l’autre, se défendre, ou éviter d’aborder un sujet difficile. En retour, ces personnes percevraient subir plus de coercition sexuelle. Pour les personnes qui sont en couple avec un homme, au sein d’une relation hétérosexuelle ou homosexuelle, le fait de rapporter une communication négative serait plus fortement lié au fait de subir de la coercition sexuelle subtile. Au contraire, les personnes qui utilisent une communication constructive lors de conflits (c’est-à-dire, qui demeurent empathiques et ouvert·es au point de vue de l’autre, qui admettent leurs torts et collaborent pour trouver ses solutions) disent vivre moins de coercition sexuelle.
Ceci signifie que travailler à prendre conscience de ses insécurités d’attachement (peur d’être quitté·e, peur de montrer ses vulnérabilités) et à améliorer la communication au sein d’une relation intime pourrait aider à diminuer la coercition sexuelle subtile entre partenaires amoureux·ses.
Il est toutefois impératif de souligner que cela ne signifie en aucun cas que les personnes qui subissent de la coercition sexuelle fassent quoi que ce soit qui justifie leur victimisation sexuelle. En effet, la responsabilité des gestes de coercition sexuelle demeure entièrement entre les mains des auteur·trice·s. Faire preuve d’empathie, d’ouverture et de respect, et être capable d’admettre ses torts dans le but de collaborer avec son·sa partenaire lors de discussions difficiles pourrait prévenir la coercition sexuelle subtile dans les relations intimes. Prendre conscience que certains comportements d’insistance sexuelle sont néfastes pour la relation intime est aussi primordial pour le bien-être des partenaires.
Si, après la lecture de ce texte, vous pouvez identifier certains comportements que vous avez subis dans votre relation, nous vous invitons à en discuter avec votre partenaire (si vous vous sentez à l’aise de le faire) ou à contacter une ressource d’aide (p.ex., https://sosviolenceconjugale.ca/fr). Si vous constatez que vous avez peut-être adopté ce genre de gestes, nous vous invitons à les cesser immédiatement et à rechercher de l’aide auprès de thérapeutes spécialisé·e·s afin d’augmenter le niveau de sécurité dans votre relation (p.ex., https://www.acoeurdhomme.com). Si vous désirez améliorer la communication dans votre couple, voici quelques suggestions de livres:
- Serre-moi fort! Sept conversations pour une vie entière d’amour par Sue Johnson,
- Les couples heureux ont leurs secrets par John M. Gottman et Nan Silver
- Couple Skills: Making your relationship work par Matthew McKay, Patrick Fanning et Kim Paleg.
*Cet article de blogue reprend les résultats d’une étude publiée par notre équipe ! Pour la référence complète : Dugal, C., Brassard, A., Claing, A., Lefebvre, A.-A., Audet, A., Paradis-Lavallée, R., Godbout, N., & Péloquin, K. (2021). Attachment insecurities and sexual coercion in same- and cross-gender couples: The mediational role of couple communication patterns. Journal of Sex and Marital Therapy, 47(8), 743-763. http://doi.org/10.1080/0092623X.2021.1944937
La publication de article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article : Dugal, C., et Brassard, A. (2022, 6 novembre). Qu’est-ce que la coercition sexuelle subtile au sein des relations intimes? Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/quest-ce-que-la-coercition-sexuelle-subtile-au-sein-des-relations-intimes
- 1Brousseau, M. M., Bergeron, S., Hébert, M., & McDuff, P. (2011). Sexual coercion victimization and perpetration in heterosexual couples: A dyadic investigation. Archives of Sexual Behavior, 40(2), 363–372. https :/doi.org/10.1007/s10508-010-9617-0
- 2Shackelford, T. K., & Goetz, A. T. (2004). Men’s sexual coercion in intimate relationships: Development and initial validation of the Sexual Coercion in Intimate Relationships Scale. Violence and Victims, 19(5), 541–556. https://doi.org/10.1891/vivi.19.5.541.63681
- 3Livingston, J., A., Buddie, A. M., Testa, M., & VanZile-Tamsen, C. (2004). The role of sexual precedence in verbal sexual coercion. Psychology of Women Quarterly, 28(4), 287–297. https://doi.org/10.1111/j.1471-6402.2004.00146.x
- 4 Dugal, C., Brassard, A., Claing, A., Lefebvre, A.-A., Audet, A., Paradis-Lavallée, R., Godbout, N., & Péloquin, K. (2021). Attachment insecurities and sexual coercion in same- and cross-gender couples: The mediational role of couple communication patterns. Journal of Sex and Marital Therapy, 47(8), 743-763. http://doi.org/10.1080/0092623X.2021.1944937