Charlie et Alex se fréquentent depuis quelque temps. Un soir, les partenaires décident d’aborder un désaccord dans leur relation, soit le manque de temps de qualité passé ensemble. La discussion commence alors que Charlie se sent très émotif·ve. Charlie critique Alex en disant que c’est sa faute si les deux passent moins de temps ensemble et qu’il y a un manque d’intimité dans la relation, car Alex est trop occupé·e par le travail. Charlie poursuit la discussion avec plusieurs reproches, comme le partage inéquitable des tâches ménagères et la diminution de la fréquence des rapports sexuels dans le couple. De son côté, Alex se referme et dit ne pas savoir ce qu’iel ressent exactement. Alex préfère ainsi mettre fin à la conversation. Cette réaction frustre encore plus Charlie. La discussion se termine et aucun·e des deux ne se sent entendu·e ni satisfait·e.
Dans cette mise en situation, on observe que les partenaires utilisent des stratégies de régulation émotionnelle plutôt inefficaces (p. ex., critiquer l’autre impulsivement, se déconnecter de ses émotions), puisqu’aucun d’eux ne se sent entendu ni validé à la fin de la discussion. Au contraire, celle-ci ne mène pas à la résolution du conflit et crée plutôt une distance entre les partenaires. Comme Charlie et Alex, beaucoup de personnes peuvent avoir de la difficulté à exprimer et gérer leurs émotions et à régler les désaccords dans leurs relations amoureuses.
Mais c’est quoi au juste la régulation émotionnelle ?
La régulation émotionnelle, c’est notre façon de vivre avec nos émotions : les reconnaître, les comprendre, les accueillir sans se laisser submerger et les exprimer de façon claire et respectueuse. Par exemple, cela peut être de réussir à dire calmement qu’on est en colère sans crier ou prendre un moment pour respirer avant de répondre pendant une dispute. Quand cette capacité est moins bien développée, on peut avoir du mal à gérer ce que l’on ressent : les émotions peuvent devenir très fortes, envahissantes et exprimées de manière impulsive. C’est ce qu’on appelle la dysrégulation émotionnelle.
C’est ce qu’on observe dans l’exemple de Charlie et Alex :
- D’un côté, Charlie a recours à l’extériorisation1, qui réfère à la tendance à exprimer ses émotions négatives par des comportements dirigés vers l’extérieur, souvent envers les autres. En effet, Charlie exprime sa tristesse de manière non régulée, ce qui se manifeste par des critiques impulsives envers Alex. Par exemple, Charlie pourrait hausser le ton, ou encore adopter un ton sec ou sarcastique lorsqu’iel s’adresse à Alex.
- D’un autre côté, Alex adopte un comportement d’évitement émotionnel1, c’est-à-dire une tendance à fuir, ignorer ou minimiser ses émotions difficiles plutôt que de les accueillir et de les vivre pleinement. Plus précisément, Alex évite de se connecter à sa culpabilité et de l’explorer. Iel cherche plutôt à la bloquer ou à la nier, et cherche à fuir la situation qui active cette émotion, par exemple en mettant fin à des discussions sur des désaccords dans son couple.
Comment ces stratégies se développent-elles ?
Très tôt, les enfants apprennent des stratégies pour gérer leurs émotions en observant et en interagissant avec les adultes autour d’eux2,3,4. Les enfants qui grandissent dans un milieu où leurs émotions sont reconnues, nommées et validées ont plus de chances de développer des stratégies adéquates comme :
- La pleine conscience, soit la capacité à porter son attention au moment présent, sans jugement et avec bienveillance envers ses émotions, ses pensées et ses sensations5. Par exemple, dans la mise en situation, plutôt que de réagir sous le coup de l’émotion, Charlie aurait pu remarquer qu’iel sentait son cœur s’accélérer ou une boule dans la gorge et se dire intérieurement : « Je me sens activé·e en ce moment, c’est difficile », sans tenter de faire disparaître l’émotion, ni d’agir impulsivement. Iel aurait pu prendre quelques respirations profondes pour se recentrer avant de répondre à Alex.
- L’acceptation émotionnelle, soit la capacité à reconnaître et accueillir ses émotions sans jugement, au lieu de lutter contre elles6. Par exemple, dans la mise en situation, Alex pourrait prendre un moment pour remarquer qu’iel ressent de la culpabilité à l’idée de négliger sa relation à cause du travail. Iel pourrait se dire : « C’est normal de ressentir ça, ça me montre que cette relation compte pour moi ». Plutôt que de fuir la conversation ou d’éviter de penser à la situation, iel pourrait choisir de rester avec cette émotion quelques instants, puis en parler à Charlie de façon ouverte.
Dans certains environnements familiaux, les figures de soin sont incapables d’offrir à l’enfant un cadre sécurisant pour répondre à ses besoins affectifs. C’est le cas, par exemple, lorsque l’enfant n’est pas écouté, que ses émotions sont critiquées plutôt que validées et qu’on ne prend pas le temps d’en discuter avec lui. Dans ce contexte, il est moins probable que l’enfant apprenne à développer des stratégies de régulation émotionnelle adéquates2,3,4,7. À la place, il peut utiliser des stratégies de régulation émotionnelle moins optimales, comme l'évitement émotionnel et l’externalisation.
Et comment des stratégies de régulation émotionnelle inefficaces peuvent-elles nuire aux relations amoureuses ?
Apprendre à bien gérer ses émotions permet aussi d’être plus à l’écoute et de mieux comprendre celles de l’autre. C’est un élément clé pour traverser les hauts et les bas d’une relation amoureuse4,8. En effet, une relation amoureuse, c’est à la fois beau et exigeant. Les relations amoureuses font naître des émotions positives, mais aussi des émotions plus difficiles, car elles demandent aux partenaires de s’adapter, de faire des compromis. De plus, les besoins et les expériences des partenaires ne s’alignent pas toujours parfaitement. Pour traverser ces moments plus chargés de façon constructive, il faut d’abord être capable de reconnaître et de réguler ce qu’on vit à l’intérieur de soi. Cela permet d’exprimer son ressenti de manière claire et respectueuse, d’être plus ouvert, empathique et conciliant face à ce que l’autre vit de son côté.
Dans une discussion comme celle d’Alex et Charlie, avoir du mal à gérer ses propres émotions peut rendre la conversation beaucoup plus difficile. Si chacun·e est submergé·e par ses propres émotions, c’est difficile de rester calme, d’écouter l’autre et de trouver des solutions ensemble.
La bonne nouvelle est qu’on peut toujours apprendre à utiliser des stratégies de régulation émotionnelle saines
Même si vous n’avez pas grandi dans un environnement où on vous a appris à reconnaître et exprimer vos émotions, il n’est jamais trop tard pour apprendre. La psychoéducation et la psychothérapie peuvent notamment permettre de développer des outils plus adaptés pour vivre et accepter vos émotions, ainsi que de les exprimer avec plus de bienveillance envers vous-même et envers les autres. Par exemple, la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) invite la personne à accueillir pleinement ses émotions difficiles, plutôt que de chercher à les fuir ou à les contrôler6.
Quelques ressources supplémentaires
Régulation des émotions: Comprendre et nommer les émotions
Compétences TCD: pleine conscience - YouTube
Pour citer cet article: Belen Field, M. et Péloquin, K. (2025, 15 septembre). Comment exprimer ce que je ressens dans mes relations si je n’ai pas appris à le faire ? Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/comment-exprimer-ce-que-je-ressens-dans-mes-relations-si-je-nai-pas-appris-le-faire
La publication de article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
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