Le rôle du·de la survivant·e au cœur des procédures
Traditionnellement, le système de justice place les accusé·e·s au centre des procédures judiciaires, étant donné que l’objectif d’un procès criminel est de statuer sur leur culpabilité. Les survivant·e·s n’y occupent qu’un rôle de second plan, c’est-à-dire de témoin, ce qui limite grandement leur participation au sein des procédures. De ce fait, iels perçoivent ces procédures comme étant complexes et anxiogènes. La crainte de ne pas être cru·e·s et le sentiment d’être délaissé·e·s devant la justice sont les principaux facteurs dissuasifs à la dénonciation de la violence sexuelle1 .
Les infractions de violence sexuelle comportent un niveau d’intimité considérable2 , n’ayant parfois aucune autre preuve pour inculper l’accusé·e que le témoignage du·de la survivant·e. En étant exposé·e·s à revoir leur agresseur·e et à raconter leur histoire à répétition, la majorité rapportent une augmentation dans leur détresse psychologique3 . D’ailleurs, le contre-interrogatoire qu'iels doivent subir sur les détails de leur expérience traumatisante est hautement redouté4 , puisqu’il s’agit d’un moment propice à l’utilisation de questions véhiculant des mythes et stéréotypes sur les violences sexuelles pour attaquer la crédibilité de leur témoignage5 telles que : pourquoi tu ne t’es pas plus débattu·e ?, comment étais-tu habillé·e ?, pourquoi n’as-tu pas porté plainte plus tôt ?, etc.
Peu importe le niveau de préparation au procès, ces propos ont de profondes répercussions sur les survivant·e·s, ce qui participe à exacerber les risques de retraumatisation6 . Certain·e·s rapportent même avoir eu l’impression que c’était leur procès qui était mené7 .
La justice pénale sous la loupe des pratiques sensibles aux traumas
Avec une approche en quatre grands piliers, les pratiques sensibles aux traumas sont centrées sur les besoins des survivant·e·s8 . Afin de réconcilier leurs réalités à celles du système de justice, l’intégration de ce type de pratiques doit se faire dès le moment où une victime se présente à un poste de police pour rapporter une infraction à caractère sexuel pour la première fois, et ce, jusqu’à la fin des procédures (c’est-à-dire le prononcé du verdict, voire jusqu’à l’exécution de la peine de l'accusé·e).
Après le mouvement #MoiAussi, une prise de conscience quant à la prévalence des violences sexuelles et des traumas chez les survivant·e·s s’est amorcée au Québec. Réaliser (pilier 1) l’ampleur des impacts du trauma occasionné par les procédures judiciaires sur les survivant·e·s a donc permis de mettre en lumière le besoin pressant d’améliorer le système de justice en matière de traitement des cas d’infractions à caractère sexuel.
Par la suite, les efforts pour Reconnaître (pilier 2) que l’expérience du système par les survivant·e·s est influencée par des facteurs de risque individuels (par exemple, le genre, l’origine ethnoculturelle, etc.) ont émergé. Il est donc crucial de reconnaître que d'un·e survivant·e à l’autre, les réalités sont diverses et qu'iels ne font pas tous·toutes face aux mêmes enjeux. Le dépôt du Rapport Rebâtir la confiance portant sur l’accompagnement des victimes d’agression sexuelle et de violence conjugale est l’illustration la plus récente de la mise en œuvre de ce pilier.
Ainsi, plusieurs cibles, telles que la création de tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle et conjugale, ont été identifiées afin de Répondre (pilier 3) à ces constats. La réponse doit s’orchestrer à tous les paliers du processus judiciaire, ce qui implique de proposer un accompagnement aux survivant·e·s entre autres lors de la déposition à la police et de la rencontre avec les procureur·e·s de la Couronne pour discuter du dossier, ainsi que pour les préparer à aller témoigner devant le tribunal lors du procès, et ce, jusqu’au prononcé du verdict. Les recommandations du Rapport mentionné ci-haut vont même jusqu’à suggérer de poursuivre cet accompagnement pendant les procédures de détermination de la peine (s’il y a lieu) et de fournir un suivi par la suite (surtout s’il y a des enjeux de sécurité à considérer pour le·la survivant·e). De plus, la réponse doit permettre de bonifier les programmes d’accompagnement et de soutien psychosocial, en plus de fournir de l’aide sur le plan juridique afin de mieux informer et préparer les survivant·e·s aux réalités du système. Il est également crucial de former les acteur·trice·s judiciaires notamment au sujet des mythes et préjugés sur la violence sexuelle et des répercussions du trauma sur le cerveau des survivant·e·s (par exemple, sur les difficultés qu’iels éprouvent à se remémorer les évènements traumatisants dans un contexte stressant comme celui d’un procès, ou de n’avoir que des souvenirs fragmentés et flous des faits, ce qui nuit à leur crédibilité lorsqu’iels sont questionné·e·s à ce propos)9 .
Enfin, l’objectif ultime est de Résister à la retraumatisation (pilier 4) des survivant·e·s. Une justice tenant compte des traumatismes offrirait aux survivant·e·s l’espace pour s’exprimer, tout en permettant aux délinquant·e·s de se responsabiliser face à leurs gestes et aux dommages causés10 . Orienter les procédures autour des besoins des survivant·e·s participerait alors à accroitre leur pouvoir d’agir et leur confiance envers le système de justice11 .
À l’aube du cinquième anniversaire du mouvement #MoiAussi, les récentes actions entreprises par le gouvernement pour rendre les procédures judiciaires plus sensibles au trauma permettront-elles un réel progrès pour les survivant·e·s ? Bien qu’il soit encore tôt pour évaluer leurs retombées positives, l’adoption de diverses mesures pour soutenir les survivant·e·s pavent certainement la voie vers le changement tant revendiqué au sein du système de justice québécois.
Pour en apprendre plus
- Le documentaire réalisé par Émilie Perreault et Monic Néron : La parfaite victime
- Le documentaire réalisé par Léa Clermont-Dion : T’as juste à porter plainte
*Cet article a été rédigé dans le cadre du cours Adultes victimes de violence durant l’enfance, enseigné par la directrice de TRACE, Natacha Godbout, à l’automne 2021.
Pour citer cet article: Dehem-Leclerc, C. (2022, 11 septembre). Vers une justice plus sensible aux réalités des survivant·e·s de violence à caractère sexuel. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/vers-une-justice-plus-sensible-aux…;
- 1Redgrave, L. et Maki, H. (2017) Se manifester dans un contexte sensible aux traumatismes : Une formation au sein de l’appareil judiciaire sur les effets traumatiques des agressions sexuelles pour accroître l’accès à la justice dans les cas d’agression sexuelle. Soumis à la Chambre des Communes du Canada. https://www.noscommunes.ca/Content/Committee/421/FEWO/Brief/BR8899552/br- external/ComingForward9589592-f.pdf
- 2Haskell, L. et Randall, M. (2019). Rapport sur l’incidence des traumatismes sur les victimes d’agressions sexuelles d’âge adulte. Justice Canada. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/trauma/trauma_fra.pdf
- 3Conseil du statut de la femme du Québec. (2020, octobre). Les personnes victimes d’agressions sexuelles ou de violence conjugale face au système de justice pénale : état de situation (publication no 978-2-550-87697-7 PDF). https://csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/Etu_violence_justice_20201007…
- 4McCarthy-Jones. S. (2018, 29 mars). Survivors of sexual violence are let down by the criminal justice system – here’s what should happen next. The Conversation. https://theconversation.com/survivors-of-sexual-violence-are- let-down-by-the-criminal-justice-system-heres-what-should-happen-next-94138
- 5 McCarthy-Jones. S. (2018, 29 mars). Survivors of sexual violence are let down by the criminal justice system – here’s what should happen next. The Conversation. https://theconversation.com/survivors-of-sexual-violence-are- let-down-by-the-criminal-justice-system-heres-what-should-happen-next-94138
- 6McCarthy-Jones. S. (2018, 29 mars). Survivors of sexual violence are let down by the criminal justice system – here’s what should happen next. The Conversation. https://theconversation.com/survivors-of-sexual-violence-are- let-down-by-the-criminal-justice-system-heres-what-should-happen-next-94138
- 7Conseil du statut de la femme du Québec. (2020, octobre). Les personnes victimes d’agressions sexuelles ou de violence conjugale face au système de justice pénale : état de situation (publication no 978-2-550-87697-7 PDF). https://csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/Etu_violence_justice_20201007…
- 8Substance Abuse and Mental Health Services Administration. SAMHSA’s Concept of Trauma and Guidance for a Trauma-Informed Approach. HHS Publication No. (SMA) 14-4884. Rockville, MD: Substance Abuse and Mental Health Services Administration, 2014.
- 9Haskell, L. et Randall, M. (2019). Rapport sur l’incidence des traumatismes sur les victimes d’agressions sexuelles d’âge adulte. Justice Canada. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/trauma/trauma_fra.pdf
- 10Bourgon, N. et Coady, K. (2019). La justice réparatrice dans les cas de violence sexuelle : une bibliographie annotée. Division de la recherche et des statistiques. Ministère de la justice Canada. https://www.justice.gc.ca/fra/pr- rp/jr/rr2019-2019rsd/2019rr-2019rsd.pdf
- 11Randall, M. et Haskell, L. (2013). Trauma-Informed Approaches to Law : Why Restorative Justice Must Understand Trauma and Psychological Coping. Dalhousie Law Journal, 36(2), 501. https://ssrn.com/abstract=2424597