Les survivant·e·s d'agression sexuelle à l'enfance sont confronté·e·s très tôt à un dilemme important qui pourra avoir de lourdes conséquences dans leur vie : dévoiler ou cacher les évènements vécus. Celleux qui dévoilent s’exposent à un risque important, notamment celui de faire face à une réaction négative et peu soutenante de la part de leur confident·e. Ces réactions sont susceptibles de nuire à leur rétablissement, de les retraumatiser ou même de les freiner à rechercher une aide professionnelle.
Au Québec, c’est environ une personne sur quatre ayant subi une agression sexuelle à l’enfance qui ne dévoilera jamais les évènements1 . Pour les personnes qui dévoileront, une sur deux attendra plus de 5 ans avant d’en parler1 . Dès lors, une question s’impose : pourquoi un aussi grand nombre de survivant·e·s d’agression sexuelle à l’enfance n’en parlent pas ou attendent aussi longtemps avant de le faire? Cette question est fondamentale, parce qu’elle nous amène à réfléchir collectivement sur notre ouverture à discuter d’un sujet tabou qui ébranle profondément nos valeurs : l’agression sexuelle. En effet, plusieurs survivant·e·s sont réticent·e·s à dévoiler parce qu’iels craignent de ne pas être cru·e·s, d’être tenu·e·s responsables des évènements ou d’avoir brisé la famille en révélant l’identité de leur agresseur·e2 . Plusieurs préfèreront porter le poids de leur trauma afin d’éviter une réaction perçue comme nuisible de la part de leurs proches ou afin de les préserver de « l’effet bombe » du dévoilement. Or, le dévoilement des agressions sexuelles ainsi qu’une réponse de soutien adéquate sont des éléments fondamentaux qui contribuent au rétablissement et à la guérison des survivant·e·s3 .
Le dévoilement d’une agression sexuelle : un fardeau qui peut être allégé ou accentué
Le dévoilement est généralement une expérience marquante et parfois éprouvante pour certain·e·s survivant·e·s car iels peuvent être confronté·e·s à des réactions peu soutenantes de la part de leurs proches3 . Recevoir un tel témoignage peut susciter de vives réactions, notamment pour les proches, qui peuvent être affecté·e·s par les évènements et pris·e·s au dépourvu, ne sachant comment réagir. Certaines personnes vont manifester des réactions peu soutenantes, notamment des comportements d'hostilité ou de rejet, ne pas croire ou blâmer les survivant·e·s, minimiser ou normaliser les agressions sexuelles, changer de sujet ou même refuser d’en parler3 . Ces réactions négatives sont susceptibles d’augmenter la détresse ainsi que les symptômes dépressifs, anxieux et de stress post-traumatiques qui peuvent être déjà présents chez les survivant·e·s1 ,4 . D’ailleurs, ce type de réactions peut fortement décourager les survivant·e·s de demander de l'aide5 , ce qui les amène à vivre seul·e·s avec les conséquences de leur trauma.
Les réactions positives (voir exemples ci-dessous), quant à elles, relèvent plutôt d’un soutien émotionnel et tangible, en plus d’une attitude calme et bienveillante qui laisse place aux émotions des survivant.es. Ces réactions encouragent les discussions autour des évènements. Elles peuvent aussi contribuer au rétablissement des survivant·e·s en leur permettant de donner un sens à leur histoire et éventuellement de la réinterpréter, par exemple, en reconnaissant l’unique responsabilité de la personne qui a posé les gestes3 . Finalement, elles permettent aux survivant·e·s de se sentir écouté·e·s, cru·e·s, considéré·e·s et validé·e·s1 ,6 . Les survivant·e·s qui ont reçu des réactions positives auraient d’ailleurs moins de séquelles psychologiques, relationnelles et sexuelles, en comparaison avec les survivant·e·s qui n'ont pas reçu de telles réactions4 .
Réactions à privilégier lors d’un dévoilement d’agression sexuelle |
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L’union fait la force : favoriser collectivement le rétablissement des survivant·e·s
Promouvoir une meilleure réponse sociale face aux agressions sexuelles implique d’abord et avant tout de comprendre que les enfants ont des ressources limitées pour se protéger face aux agressions sexuelles, en plus d’être confronté·e·s à plusieurs obstacles qui empêchent leur dévoilement. Les enfants ont besoin d’adultes bienveillant·e·s qui vont ouvrir le dialogue sur les agressions sexuelles, de façon adaptée à leur âge, afin de prévenir ces situations ou encore de les inciter à en parler si cela se produit. Par exemple, il est important de sensibiliser les enfants sur l’importance d’en parler avec un·e adulte de confiance lorsqu’iels vivent des situations qui les rendent inconfortables, mais aussi sur les notions de respect de leur corps et de leur intimité7 .
Les adultes qui dévoileront ont, quant à elleux, besoin d’être écouté·e·s, cru·e·s et respecté·e·s peu importe leur décision, mais aussi de se faire dire clairement qu’iels ne sont pas responsables des évènements. Il n’en demeure pas moins que le dévoilement d’une agression sexuelle peut aussi affecter la personne qui le reçoit. Néanmoins, lorsque qu’une personne ne se sent pas disposée à bien réagir, il est primordial que celle-ci encourage le·la survivant·e à parler des évènements à une autre personne de confiance ou la.le réfère à des ressources d’aide spécialisées. Toustes ensemble, nous avons le pouvoir de contribuer au rétablissement des survivant.es d’agression sexuelle.
*Roxanne Guyon s’est mérité le prix Relève-étoile Paul-Gérin Lajoie des Fonds de recherche du Québec pour l’article scientifique qu’elle vulgarise dans ce texte. De plus, elle aimerait remercier l’organisation de Com-Sci-Con (événement de communication scientifique), qui lui a permis de recevoir des commentaires sur ce texte
La publication de article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article: Guyon, R. (2022, 15 août). Recevoir un dévoilement d’agressions sexuelles. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/recevoir-un-devoilement-dagression…;
- 1 a b c d Hébert, M., Tourigny, M., Cyr, M., McDuff, P., & Joly, J. (2009). Prevalence of childhood sexual abuse and timing of disclosure in a representative sample of adults from Quebec. The Canadian Journal of Psychiatry, 54(9), 631-636. https://doi.org/10.1177/ 070674370905400908
- 2McElvaney, R., Greene, S., & Hogan, D. (2014). To tell or not to tell? Factors influencing young people’s informal disclosures of child sexual abuse. Journal of Interpersonal Violence, 29(5), 928-947. https://doi.org/10.1177/0886260513506281
- 3 a b c d Guyon, R., Fernet, M., Dussault, É., Gauthier-Duchesne, A., Cousineau, M. M., Tardif, M., & Godbout, N. (2021). Experiences of disclosure and reactions of close ones from the perspective of child sexual abuse survivors: a qualitative analysis of gender specificities. Journal of Child Sexual Abuse, 30(7), 806-827. https://doi.org/10.1080/10538712.2021.1942369
- 4 a b Therriault, C., Bigras, N., Hébert, M., & Godbout, N. (2020). All involved in the recovery: Disclosure and social reactions following sexual victimization. Journal of Aggression, Maltreatment & Trauma, 29(6), 661-679. https://doi.org/10.1080/10926771.2020.1725210
- 5Kennedy, A. C., Adams, A., Bybee, D., Campbell, R., Kubiak, S. P., & Sullivan, C. (2012). A model of sexually and physically victimized women’s process of attaining effective formal help over time: The role of social location, context, and intervention. American Journal of Community Psychology, 50(1), 217-228. https://doi.org/10.1007/s10464-012-9494-x
- 6Gagnier, C., & Collin-Vézina, D. (2016). The disclosure experiences of male child sexual abuse survivors. Journal of Child Sexual Abuse, 25(2), 221-241. https://doi.org/10.1080/10538712.2016.1124308
- 7Craig, E. (2022). Teaching safeguarding through books: a content analysis of child sexual abuse prevention books. Journal of Child Sexual Abuse, 1-19. https://doi.org/10.1080/10538712.2021.1985672