Rares sont les relations intimes qui n’ont pas de conflits. Tâches ménagères, gestion de l’argent, jalousie ou temps passé ensemble : de nombreux aspects d’une relation peuvent être à l’origine de désaccords entre partenaires intimes. Que peut-on faire pour arriver à une résolution de conflit plus satisfaisante pour toutes les parties ?
Imaginez ceci : Depuis quelques temps, vous avez l’impression de faire beaucoup plus de tâches ménagères que votre partenaire. Vous sentez que la responsabilité tombe inévitablement sur vos épaules et vous accumulez beaucoup de frustration. Lorsque vous décidez enfin d’en parler, votre partenaire vous répond :
« Penses-tu vraiment que j’ai le temps de faire le ménage avec mes heures au travail ces temps-ci ? C’est normal que tu en fasses plus ! »
Comment vous sentez-vous face à une telle réponse ? Par ailleurs, comment vous seriez-vous senti·e si sa réponse avait plutôt été :
« Oh, je ne savais pas que tu te sentais comme ça. C’est vrai que, ces temps-ci, j’ai mis de côté le ménage avec les heures supplémentaires que je fais au travail. J’entends toutefois que ça met beaucoup de pression sur tes épaules et que tu trouves ça difficile. Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour améliorer la situation ? » ?
Une grande majorité de personnes préférerait la réponse de ce deuxième scénario. Le premier scénario dépeint un·e partenaire qui discrédite votre expérience et qui valorise son propre point de vue. À l’inverse, le deuxième scénario représente un·e partenaire qui semble se mettre à votre place et qui intègre votre point de vue et vos sentiments dans sa propre conception du problème. C’est ce qu’on appelle la prise de perspective au sein des conflits.
Qu’est-ce que la prise de perspective ?
La prise de perspective est définie comme la capacité à comprendre le point de vue de l’autre et à se mettre à sa place1 . C’est la capacité d’imaginer ce que l’autre ressent, pense ou pourrait ressentir dans le futur. On considère la prise de perspective comme une composante cognitive de l’empathie2 , soit une habileté à voir au-delà de ses propres intérêts et sentiments.
Or, la prise de perspective n’est pas seulement un phénomène d’ordre cognitif, c’est-à-dire qui se produit dans nos esprits. Elle se reflète aussi dans nos comportements, dans la façon dont on communique à l’autre, implicitement ou explicitement, que l'on reconnaît, comprend et considère son point de vue3 . Ainsi, par leurs comportements verbaux et non-verbaux dans une interaction donnée, les partenaires peuvent démontrer l’effort et l’intérêt qu’iels portent à comprendre et à intégrer la perspective de l’autre.
Il ne s’agit pas d’être toujours d’accord avec sa·son partenaire, mais bien de reconnaître et de considérer la perspective de l’autre dans sa propre conception d’une situation. En effet, les comportements de prise de perspective peuvent aider les partenaires à se sentir valorisé·e·s, compris·e·s et plus satisfait·e·s, et ce, même lorsqu’iels sont en désaccord3 .
Quels sont les bénéfices de la prise de perspective dans les conflits intimes ?
Les comportements de prise de perspective lors de conflits ont été associés, notamment, à moins d’objectifs axés sur la dominance, tels que « gagner » le conflit ou faire changer le point de vue de l’autre. Les comportements de prise de perspective ont aussi été associés à plus d’objectifs axés sur la relation, comme trouver une solution mutuellement bénéfique aux partenaires ou maintenir une relation positive4 . Autrement dit, en fournissant un effort constant pour tenter de comprendre le point de vue de l’autre lors d’un conflit, les partenaires démontrent qu’iels valorisent davantage la relation que l’issue du conflit, renforçant ainsi leur lien affectif au fil du temps5 .
D’ailleurs, lorsqu’un·e partenaire a tendance à faire preuve de prise de perspective lors des conflits intimes, l’autre partenaire tendrait à être plus satisfait·e dans sa relation intime de manière générale3 et serait moins enclin·e à envisager une rupture4 . La prise de perspective lors de conflits intimes a même été associée à une plus grande satisfaction sexuelle chez les couples6 .
Pourquoi c’est plus facile à dire qu’à faire?
Un individu peut posséder de bonnes compétences interpersonnelles, telles qu’une bonne capacité à être empathique lorsque l’autre partenaire lui partage une difficulté personnelle, mais ne pas mobiliser celle-ci de manière efficace ou cohérente lors d’un conflit intime7 . En effet, lorsqu’iels se retrouvent dans une situation de désaccord les impliquant émotionnellement toustes les deux, celleux-ci peuvent être porté·e·s à vouloir se convaincre l’un·e l’autre de la supériorité de leur perspective. Pour y arriver, les partenaires peuvent avoir tendance à minimiser les éléments qui menacent la légitimité de leur point de vue8 . Par exemple, tel que présenté dans le premier scénario ci-haut, un·e partenaire pourrait tenter de discréditer la perception de sa·son partenaire en lui mentionnant qu’iel exagère ou que sa vision de la situation est erronée. Toutefois, cette tendance à percevoir les conflits intimes comme un débat, où seulement une perspective est valable et supérieure, n’est pas associée à une résolution satisfaisante des conflits3 . En faisant preuve de prise de perspective, les partenaires contribuent à changer l’objectif du conflit du débat vers la compréhension, favorisant ainsi une résolution plus satisfaisante.
Comment mettre en pratique la prise de perspective au sein de votre relation ?
Voici les différentes dimensions de la prise de perspective et quelques exemples de comportements à privilégier lors de conflits intimes :
- Soyez attentif·ve : Regardez votre partenaire lorsqu’iel vous partage son point de vue, hochez la tête, posez des questions intéressées, faites preuve de patience, etc.
- Créez un espace pour que votre partenaire puisse s’exprimer : Laissez votre partenaire parler, évitez de l’interrompre, encouragez-la·le à partager son point de vue : « Qu’est-ce que tu en penses? », etc.
- Communiquez votre compréhension : Montrez que vous comprenez ce que votre partenaire amène dans l’interaction : « Je comprends », « Je vois comment tu as pu te sentir comme ça ».
- Installez une atmosphère affective positive : Communiquez votre amour et l’importance de votre relation : « Notre relation est importante pour moi », « Trouvons un moyen d’améliorer la situation ».
- Validez l’identité de votre partenaire : Validez votre partenaire en tant que personne : « C’est vrai que tu fais beaucoup d’efforts ». Donnez des exemples de comportements que vous appréciez chez votre partenaire : « J’aime beaucoup quand tu fais cela », reflétez les sentiments communiqués par votre partenaire d’une manière bienveillante : « Ça te rend triste quand… », etc.
Faire preuve de prise de perspective est un défi lors de conflits intimes, surtout lorsque les partenaires sont fortement impliqué·e·s dans celui-ci et vivent d’intenses émotions. Toutefois, les bénéfices associés à de telles habiletés au sein des relations intimes en valent la peine. D’autant plus qu’en faisant les premiers pas et en essayant de faire preuve de prise de perspective lors de vos conflits intimes, il est probable que, de façon réciproque9 , votre partenaire devienne plus ouvert·e et enclin·e à faire preuve de prise de perspective à votre égard. Ultimement, cela pourrait vous mener à une résolution de conflit plus satisfaisante, et ainsi, contribuer à augmenter votre satisfaction générale de la relation.
La publication de article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article: Emond, M., et Daspe, M.-È. (2022, 18 mars). « Peux-tu t’imaginer comment je me sens? ». Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/peux-tu-timaginer-comment-je-me-se…;
- 1Long, E. C. (1993). Perspective-taking differences between high-and low-adjustment marriages: Implications for those in intervention. American Journal of Family Therapy, 21(3), 248-259.
- 2Davis, M. H. (1983). Measuring individual differences in empathy: Evidence for a multidimensional approach. Journal of Personality and Social Psychology, 44(1), 113.
- 3 a b c d Kellas, J. K., Carr, K., Horstman, H. K. et Dilillo, D. (2017). The Communicated Perspective‐Taking Rating System and links to well‐being in marital conflict. Personal Relationships, 24(1), 185-202.
- 4 a b Lundell, L. J., Grusec, J. E., McShane, K. E. et Davidov, M. (2008). Mother–adolescent conflict: Adolescent goals, maternal perspective‐taking, and conflict intensity. Journal of Research on Adolescence, 18(3), 555-571.
- 5Péloquin, K. et Lafontaine, M. F. (2010). Measuring empathy in couples: Validity and reliability of the interpersonal reactivity index for couples. Journal of Personality Assessment, 92(2), 146-157.
- 6Rosen, N. O., Mooney, K. et Muise, A. (2017). Dyadic empathy predicts sexual and relationship well-being in couples transitioning to parenthood. Journal of Sex & Marital Therapy, 43(6), 543-559.
- 7Long, E. C. (1994). Maintaining a Stable Marriage: Perspective Taking as a Predictor or a Propensity to Divorce. Journal of Divorce & Remarriage, 21(1-2), 121-138.
- 8Ickes, W. et Hodges, S. D. (2013). Empathic Accuracy in Close Relationship. Dans J. A. Sampson et L. Campbell (dir.), The Oxford handbook of close relationships (p. 348-373). Oxford Library of Psychology.
- 9Pike, G. R. et Sillars, A. L. (1985). Reciprocity of marital communication. Journal of Social and Personal Relationships, 2(3), 303-324.