Glossaire* des termes reliés à la pluralité des genres utilisés dans le texte :
Bispirituel·le (ou two-spirit) : identités de nature sociale, culturelle et spirituelle en lien avec la pluralité des orientations sexuelles et des identités de genre traditionnelles des peuples autochtones. Cis (ou cisgenre) : personne qui s’identifie au sexe/genre qui lui a été assigné à la naissance. Créatif·ve dans le genre : personne qui ne se conforme pas aux normes reliées à l’expression de genre, aux rôles et aux identités de genre reconnues dans une société. Cisnormativité : norme sociale selon laquelle il est considéré comme normal, habituel, naturel, souhaitable voire supérieur, d’être une personne cis. Cissexisme : favoriser et privilégier les personnes cis au détriment des personnes trans (et créatives sur le plan du genre) dans la société. Non binaire : personne qui ne s’identifie pas comme exclusivement femme ou homme Trans (ou transgenre) : personne qui ne s’identifie pas au sexe ou au genre qui lui a été assigné à la naissance. |
Jules, jeune fille trans de 14 ans, dort depuis quelques semaines sur le divan d’un·e ami·e. Iel éprouve des difficultés à l’école, tant sociales que scolaires, et a vécu des épisodes de violence à la maison qui ont exacerbé sa détresse émotionnelle et identitaire. Après plusieurs conflits autour de son identité, les parents de Jules lui ont demandé de quitter le domicile familial. Cela lui a laissé un fort sentiment de rejet.
L’histoire de Jules n’est malheureusement pas rare. Elle fait partie d’un portrait inquiétant qui se dresse lorsqu’on observe les réalités des jeunes bispirituel·le·s, trans, non binaires et créatif·ve·s dans le genre. Parmi ces jeunes, celleux âgé·e·s de 13 à 24 ans sont 8 fois plus nombreux·ses à être en situation d’itinérance que dans la population canadienne du même groupe d’âge1 ,2 . Pour quelles raisons les jeunes créatif·ve·s sur le plan du genre sont-iels plus susceptibles que les jeunes cisgenres de se retrouver en situation d’itinérance ?
L’itinérance chez les jeunes présente des défis propres à leur développement et leurs expériences. Les jeunes sont généralement dépendant·e·s de parents ou tuteur·ice·s adultes et n’ont parfois pas encore acquis les aptitudes nécessaires pour être autonomes. Les jeunes doivent également composer avec les changements physiques, cognitifs, sociaux et émotionnels liés à la puberté, qui s’ajoutent aux difficultés liées à l’itinérance3 telles que le manque d’accès à un logement décent et abordable, aux services de santé et aux ressources alimentaires.
« L’itinérance chez les jeunes renvoie à la situation et à l’expérience que connaissent des jeunes âgés entre 13 et 24 ans qui vivent indépendamment de leurs parents et/ou gardiens et qui n’ont pas les moyens ni la capacité d’acquérir une résidence stable, sécuritaire et permanente. »
Observatoire Canadien sur l’Itinérance3
En plus des facteurs habituellement liés aux trajectoires d’itinérance jeunesse (p. ex., les conflits familiaux, les troubles de consommation d’alcool et de drogue et les troubles de santé mentale1 ), les jeunes créatif·ve·s dans le genre sont confronté·e·s à des violences cissexistes1 ,4 . Ce type de violence provenant des parents est un facteur souvent important dans leur trajectoire. En effet, plusieurs jeunes créatif·ve·s dans le genre expliquent leur parcours vers l’itinérance par les réactions négatives de leur famille envers leurs identités et expressions de genre4 ,5 . Également, les violences cissexistes vécues dans d’autres environnements, comme l’école, le voisinage, les plateformes en ligne peuvent influencer leurs trajectoires.
Toutefois, les parcours d’itinérance des jeunes créatif·ve·s dans le genre sont uniques, complexes et multifactoriels, c’est-à-dire qu’ils ne reposent pas exclusivement sur le contexte familial. Bien que les expériences de violences et de rejet familial qui sont fondées sur l’identité et l’expression de genre soient un élément majeur pour nombreux·ses d’entre elleux, les facteurs associés à leur passage à l’itinérance peuvent se manifester selon trois dimensions sociales : structurelle, institutionnelle et interpersonnelle1 ,6 .
Ces dimensions peuvent nous aider à comprendre comment les jeunes créatif·ve·s dans le genre se construisent et vivent à l’intérieur d’un système cisnormatif inadapté à leur réalité. Elles sont d’autant plus importantes pour prendre conscience des diverses formes de violence et de discrimination qui peuvent survenir, et pousser ces jeunes vers les marges de notre société1 ,6 :
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Normes sociales dominantes (telle que la cisnormativité), politiques publiques et lois qui influencent, par exemple, l’accès au logement, à un travail ou à un plus haut niveau d’éducation. |
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Politiques, règlements et pratiques des institutions. Appliquée à la problématique, elle peut se caractériser par des centres d’hébergement qui refusent l’accès aux personnes qui ne s’identifient pas dans la binarité femme ou homme ou l’absence de soins médicaux adaptés dans des cliniques. |
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Expériences de violence interpersonnelle, de négligence et de rejet qui sont vécues dans les milieux de vie des jeunes. |
L’absence ou le manque de soutien à l’égard des jeunes créatif·ve·s dans le genre de la part des enseignant·e·s ou des parents ébranle la confiance de ces jeunes7 . Celleux-ci doutent alors des capacités de la famille et de l’école à leur offrir de l’aide et à les protéger des attitudes discriminatoires et violentes qu’iels vivent. Iels cessent donc de compter progressivement sur le soutien des adultes qui les entourent. Les jeunes créatif·ve·s dans le genre s’éloignent de leurs familles et de leurs écoles5 , ce qui les prive progressivement de soutien émotionnel et matériel, ainsi que d’aide en situation de crise. En plus du risque accru d’itinérance, les difficultés engendrées par ce système cissexiste les rendent vulnérables à la détresse psychologique (p. ex., dépression ou anxiété) et au suicide8 .
Le rejet familial peut être vécu comme une expérience dévastatrice pour des jeunes en quête d’identité. Cela les éloigne d’un réseau de soutien nécessaire pour débuter une vie adulte saine, équilibrée et stable9 . Cette réalité souligne l’importance de reconnaître les comportements, les attitudes et les paroles qui favorisent la mise à l’écart10 , ainsi que la nécessité de s’engager activement dans la lutte contre le cissexisme. Voici quelques exemples de comportements nuisibles pour les jeunes créatif·ve·s dans le genre10 :
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Manifester au·à la jeune la honte ressentie face à son identité.
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Invalider l’expérience du·de la jeune : « Ce n’est qu’une phase, une mode. »
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Contrôler l’expression de genre au niveau des vêtements, du maquillage ou de la coupe de cheveux.
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Se moquer, insulter et ridiculiser l’identité ou l’expression de genre du·de la jeune ou des autres en face du·de la jeune.
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Blesser physiquement le·la jeune.
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Ne pas respecter les prénoms et pronoms choisis par le·la jeune.
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Forcer le·la jeune à changer son identité ou son expression de genre.
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Limiter l’accès à du soutien ou à des groupes de soutien pouvant aider le·la jeune.
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Expulser le·la jeune de la maison à cause de son identité.
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Soutenir le·la jeune seulement s’iel répond à certaines exigences et retirer son soutien si le·la jeune ne répond pas à ces exigences, par exemple au niveau du code vestimentaire ou du cercle d’ami·e·s.
Ces comportements et ces attitudes cissexistes peuvent parfois se manifester de façon sournoise dans divers environnements, notamment au sein des familles. Bien que ces gestes et paroles puissent être faits sous l’intention de protéger et d’éduquer leurs enfants10 , il est important de reconnaître qu’ils peuvent avoir des impacts négatifs sur les plans physique, psychologique, interpersonnel et matériel des jeunes non conformes sur le plan du genre.
L’univers familial joue un rôle déterminant dans la création et le maintien d’un environnement stable et sécuritaire pour les jeunes créatif·ve·s dans le genre. La famille peut avoir le potentiel de devenir un filet de sécurité essentiel pour la protection des jeunes, mais également une source de compréhension et d’amour qui favorise le développement de leur résilience7 ,11 . Pour y parvenir, les familles doivent être soutenues par des ressources adéquates.
Les institutions, telles les écoles et les organismes en itinérance, doivent prendre des mesures pour sensibiliser et promouvoir la diversité des identités et expressions de genre et reconnaitre les violences cissexistes et leurs impacts11 ,12 . Cette reconnaissance est essentielle pour élaborer des politiques et des ressources visant à mieux protéger les jeunes créatif·ve·s dans le genre13 . De plus, il est important que les enseignant·e·s et les intervenant·e·s bénéficient de formations appropriées pour soutenir les jeunes et leurs familles4 . Ces initiatives peuvent améliorer la collaboration avec les parents et les doter d’outils nécessaires pour repérer les signes de détresse et de discrimination chez leurs enfants5 ,13 .
Un environnement familial inclusif, affirmatif sur le plan du genre et outillé peut offrir des espaces de résistance, des refuges où les jeunes peuvent se construire et s’exprimer en toute liberté et sécurité7 . Le développement de la résilience des jeunes permet d’atténuer les impacts des expériences négatives, de soutenir la construction saine et fière de leur identité et de réduire la détresse psychologique et le risque d’itinérance7 ,11 ,12 .
Des actions préventives doivent être mises en place dans chaque dimension, et ce, sans négliger les jeunes qui sont présentement en situation d’itinérance. Il faut favoriser le partage de connaissances sur leurs réalités et encourager la création de services adaptés aux besoins spécifiques des jeunes créatif·ve·s dans le genre1 ,4 ,5 ,6 ,14 . En travaillant ensemble, les familles, les institutions et la société peuvent favoriser l’épanouissement et la résilience des jeunes créatif·ve·s dans le genre et ainsi, prévenir les trajectoires d’itinérance.
* Pour plus d’informations sur les termes liés aux réalités LGBTQ+, consulter Des mots pour exister : Nommer les identités, les familles et les réalités LGBTQ+15 .
Ressources éducatives pour parents, enseignant·e·s et intervenant·e·s :
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Source d’informations, de vulgarisations et d’activités pédagogiques pour les écoles.
Jeunes trans et non binaires : de l’accompagnement à l’affirmation, de Sansfaçon et Médico7
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Informations sur les interventions et approches transaffirmatives auprès des jeunes et des parents.
Pratiques d’ouverture envers les jeunes LGBTQIA2S en situation d’itinérance, de Duford13
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Informations et outils sur des pratiques inclusives pour les organismes et les ressources destinés aux jeunes en situation d’itinérance ou à risque de l’être.
The transgender child: a handbook for families and professionals, de Brill et Pepper16
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Informations sur les pratiques parentales inclusives et transaffirmatives.
Ressources d’aide pour les jeunes :
Interligne : Téléphone : 514 866-0103 Textos :1 888 505-1010
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Services de soutien et de renseignements pour les personnes de la diversité sexuelle et de genre et pour leurs proches.
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Services et ressources transinclusifs pour les jeunes de 7 à 14 ans et leurs familles.
Projet 10 : Téléphone : 514 989-0001
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Service d’accompagnement et ressources pour les jeunes de la diversité sexuelle et de genre
Jeunesse Lambda : Téléphone : 514 543-6343
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Sensibilisation, soutien et plateforme de partage par et pour les jeunes de la diversité sexuelle et de genre.
Alterhéros : Téléphone : 438 830-4376
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Sensibilisation, soutien et plateforme de partage pour les jeunes de la diversité sexuelle et de genre.
Cactus Montréal : GIAP et ASTT(e)Q
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Services de soutien pour jeunes en situation d’itinérance et personnes trans.
L’ATQ : Téléphone : 1 855 909-9038 #1
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Ligne d’écoute et de renseignements pour les personnes trans et non binaires.
Dans la rue : Chez pops
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Centre d’hébergement et ressources pour les jeunes en situation de précarité.
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Centres d’hébergement pour les jeunes en difficulté et en situation d’itinérance.
Cet article de blogue a originalement été rédigé dans le cadre du cours Adultes victimes de violence durant l'enfance enseigné par Natacha Godbout, directrice de TRACE, à l’UQAM à l’automne 2023. La publication de article a aussi été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article: Dulude, A. et Duford, J. (2024, 5 août). Parcours vers l’itinérance des jeunes créatif·ve·s dans le genre. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/parcours-vers-litinerance-des-jeun…
- 1 a b c d e f Gaetz, S., O’Grady, B., Kidd, S., et Schwan, K. (2016). Sans domicile : un sondage national sur l’itinérance chez les jeunes. Observatoire canadien sur l’itinérance. https://www.rondpointdelitinerance.ca/sites/default/files/attachments-fr/WithoutAHome-FR.pdf
- 2Statistique Canada (2021). Recensement de la population. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220427/cg-b001-eng.htm
- 3 a b L’observatoire canadien sur l’itinérance (2016). Définition canadienne de l’itinérance chez les jeunes. https://www.homelesshub.ca/sites/default/files/Definition_of_Youth_Homelessness_FR.pdf
- 4 a b c d Shelton, J., et Bond, L. (2017). “It just never worked out”: How transgender and gender expansive youth understand their pathways into homelessness. Families in Society, 98(4), 284-291. https://doi.org/10.1606/1044-3894.2017.98.33
- 5 a b c d Côté, P.-B., et Blais, M. (2021). "The least loved, that’s what I was": A qualitative analysis of the pathways to homelessness by LGBTQ+ youth. Journal of Gay & Lesbian Social Services, 33(2), 137-156. https://doi.org/10.1080/10538720.2020.1850388
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- 14Duford, J. (2019). Pratiques d’ouverture envers les jeunes LGBTQIA2S en situation d’itinérance: guide destiné aux organismes d’aide en itinérance ou qui œuvrent auprès de personnes à risque d’itinérance. Coalition des groupes jeunesse LGBTQ+. https://bv.cdeacf.ca/documents/PDF/61716.pdf
- 15Drouin, M. P. (2022). Des mots pour exister: nommer les identités, les familles et les réalités LGBT. Coalition des familles LGBT+. https://www.zeffy.com/fr-CA/ticketing/a8fae75f-ac55-4fd0-bd53-bec3dc233306
- 16Brill, S., et Pepper, R. (2022). The transgender child: A handbook for parents and professionals supporting transgender and nonbinary children. Cleis Press.