Durant la première vague, le nombre de Canadien·ne·s vivant avec un niveau très élevé d'anxiété a quadruplé (passant de 5% à 20%) et celui des personnes vivant avec un niveau très élevé de dépression a doublé (passant de 4% à 10%)1 . Certains sous-groupes de la population pourraient être plus vulnérables aux conséquences psychosociales de la pandémie, comme les personnes ayant vécu des traumatismes interpersonnels au cours de leur enfance (expériences d’abus ou de négligence physique, psychologique ou sexuelle).
Comme un·e Canadien·ne sur 3 rapporte avoir été victime d’abus physique ou sexuel ou avoir été exposé à de la violence conjugale avant l’âge de 18 ans2 , il est important de s’attarder à cette portion non négligeable de la population durant la pandémie en raison de la menace que le virus représente et l’instabilité qu’elle engendre3 . En effet, ce sous-groupe vivrait plus de détresse psychologique que celleux n’ayant pas été exposés à ces évènements traumatiques4 . Mais qu’est-ce qui explique cela ?
L’hypothèse de la sensibilité au stress5 pourrait répondre à cette question. Il s’agit d’un principe affirmant que certaines personnes sont plus fragiles aux impacts d’un nouvel évènement stressant, considérant leurs expériences stressantes passées. En ce qui a trait à la pandémie de COVID-19, elle présente plusieurs facteurs de stress différents auxquels nous devons faire face. Nous devons notamment composer avec la peur de contracter le virus, la solitude, l’isolement ainsi que l’impuissance et la frustration liées à la perte d’emploi et les difficultés financières.
Ce sont ces évènements incontrôlables et imprévisibles, ainsi que les émotions qui en découlent, qui pourraient amplifier la détresse liée aux stresseurs antérieurs même si ceux-ci n’ont aucun lien avec la pandémie. Cet effet serait surtout présent chez les individus ayant vécu plusieurs évènements traumatiques durant l’enfance. Ceux-ci présenteraient davantage d’épisodes de dépression majeure (émotions désagréables persistantes), de trouble de stress post-traumatique (niveau élevé d’anxiété, sentiment de peur intense, forte réaction physique en réponse à un évènement menaçant la vie ou l’intégrité physique ou psychologique d’un individu) et de troubles anxieux (niveau de stress dit « injustifié » qui empêche l’individu de fonctionner normalement) à l’âge adulte suivant l’exposition à une nouvelle source de stress6 .
C’est donc dire que le contexte difficile de la pandémie exerce une pression supplémentaire sur des individus à la santé mentale déjà fragilisée7 . Comment peut-on les aider à alléger ce poids sur leurs épaules? Les pratiques sensibles aux traumatismes sont un outil intéressant à cet égard.
En août 2020, Delphine Collin-Vézina, chercheure experte dans le domaine et professeure associée à l’École de service social de l’Université McGill, ainsi que ses collègues, ont publié un article appliquant les principes de pratiques sensibles aux traumas au contexte de la pandémie. De ceux-ci, trois exemples sont particulièrement pertinents à mettre en pratique au quotidien de par leur facilité à être appliqués.
- Le principe de sécurité souligne l’importance que tous ne se sentent pas menacés, autant sur les plans physique que psychologique. Durant le confinement, il faut se rappeler l'importance de maintenir des routines quotidiennes et d'établir des habitudes qui nous apaisent, comme marcher à l’extérieur ou faire de la lecture au coucher, et de continuer à les utiliser pour favoriser son bien-être.
- Le principe de soutien social est l’un des plus efficaces pour soutenir les individus touchés par des symptômes post-traumatiques. La pandémie ayant isolé les gens plus vulnérables, il est important de garder le contact avec l’entourage de différentes manières (téléphone, messages textes, fêtes en vidéoconférence) et de soutenir des programmes permettant de briser l’isolement, comme les initiatives de parrainage civique ou différentes lignes téléphoniques spécialisées.
- Le principe d’émancipation et de choix a comme objectif de miser sur les forces des individus plutôt que leurs difficultés. Plusieurs ont vécu de grandes pertes (décès, isolement, emploi, évènements importants annulés) et n’ont plus l’impression d’avoir le contrôle sur ce qui leur arrive. Il est donc crucial de mettre l’accent sur ce qu’une personne peut faire plutôt que ce qu’elle n’est plus en moyen de réaliser. Par exemple, quelqu’un peut voir le confinement comme une occasion d’apprendre de nouvelles compétences, comme l’art, le sport ou la cuisine.
De toute évidence, ce n’est pas tout le monde qui vit la pandémie avec les mêmes ressources et outils pour y faire face. Par exemple, les personnes ayant vécu des traumatismes interpersonnels au cours de l’enfance ont vécu plus de détresse durant la première vague que leurs semblables n’ayant pas été exposés à ces mêmes évènements. Cependant, il ne s’agit pas d’une fatalité; plusieurs moyens peuvent être mis en place pour favoriser leur bien-être.
Il faut soutenir leur sécurité physique et psychologique et leur émancipation et minimiser l’isolement en gardant le contact avec l’entourage. Faire preuve de compassion envers soi-même et les autres, c’est une autre manière de se protéger de la pandémie de la COVID-19.
Pour citer cet article : Duguay, G. (2021, 8 novembre). Pandémie et traumas en enfance : quand fragilité rime avec sensibilité. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/pandemie-et-traumas-en-enfance-qua….
- 1Mental Health Research Canada. (2020). Mental Health During COVID-19 Outbreak Wave 1. Mental Health Research Canada. Disponible au: https://static1.squarespace.com/static/5f31a311d93d0f2e28aaf04a/t/5f868…
- 2Afifi, T. O., MacMillan, H. L., Boyle, M., Taillieu, T., Cheung, K., & Sareen, J. (2014). Child abuse and mental disorders in Canada. CMAJ, 186(9), E324-E332.
- 3Perry, B. (2020). Staying emotionally close in the time of COVID-19. Disponible au : https://www.thetraumatherapistproject.com/podcast/bruce-perry-md-phd-st…
- 4Siegel, A., & Lahav, Y. (2021). Emotion Regulation and Distress During the COVID-19 Pandemic: The Role of Childhood Abuse. Journal of Interpersonal Violence. Disponible au : https://doi.org/10.1177/08862605211021968
- 5Hammen, C., Henry, R., & Daley, S. E. (2000). Depression and sensitization to stressors among young women as a function of childhood adversity. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 68(5), 782. Disponible au : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11068964/
- 6McLaughlin, K., Conron, K., Koenen, K., & Gilman, S. (2010). Childhood adversity, adult stressful life events, and risk of past-year psychiatric disorder: A test of the stress sensitization hypothesis in a population-based sample of adults. Psychological Medicine, 40(10), 1647-1658. Disponible au : https://doi.org./10.1017/S0033291709992121
- 7Seitz, K. I., Bertsch, K., & Herpertz, S. C. (2021). A Prospective Study of Mental Health During the COVID-19 Pandemic in Childhood Trauma-Exposed Individuals: Social Support Matters. Journal of Traumatic Stress, 34(3), 477–486. Disponible au : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jts.22660