Il est de plus en plus reconnu que les agressions sexuelles vécues en enfance peuvent être liées au développement de difficultés sexuelles à l’âge adulte2 ,3 ,4 . Les résultats d’études scientifiques précisent que d’autres types de traumas interpersonnels vécus en enfance, dont la violence psychologique et physique, la négligence parentale ou l’intimidation, sont également liés aux difficultés sexuelles à l’âge adulte5 ,6 . Voici trois façons de comprendre les liens entre ces types de traumas et les difficultés sexuelles :
- Les traumas interpersonnels en enfance se vivent généralement au sein de relations importantes, par exemple avec les figures parentales ou les pairs. Les blessures dans ces relations tendent à laisser des traces relationnelles importantes, telles qu’un inconfort avec l’intimité ou la peur de l’abandon5 . Ces répercussions affectent la sexualité, puisque celle-ci implique également un niveau particulier d’intimité et de vulnérabilité, ce qui peut poser un défi pour certaines personnes ayant vécu des traumas interpersonnels en enfance.
- Les personnes ayant vécu des traumas interpersonnels en enfance peuvent développer des mécanismes afin de diminuer la souffrance reliée aux traumas. De tels mécanismes sont, par exemple, la consommation de substances ou la dissociation, qui consiste à se couper de l’expérience vécue dans le moment présent7 . Or, ces mécanismes d’évitement tendent à maintenir ou à aggraver les conséquences relationnelles et psychologiques des traumas. Cela a pour effet d’entraver la santé et le bien-être sexuel.
- Une relation intime implique une proximité et une saine interdépendance entre les partenaires, ce qui peut être inconfortable pour des personnes ayant vécus des traumas interpersonnels. En effet, ces personnes peuvent vivre avec la crainte d'être victimisé⸱e⸱s, traumatisé⸱e⸱s ou blessé⸱e⸱s à nouveau5 . Cet évitement de l’intimité peut, avec le temps, se transposer en un faible désir sexuel, ou se manifester par des douleurs lors des rapports sexuels, des difficultés à se laisser aller et atteindre l’orgasme, des difficultés érectiles, ou encore une aversion face à la sexualité8 .
La présence attentive pour favoriser le bien-être sexuel
La présence attentive, aussi appelée pleine conscience ou mindfulness, est de plus en plus documentée pour favoriser le bien-être sexuel à l’âge adulte9 . La présence attentive consiste en l'état de conscience qui émerge lorsque l'on porte attention aux expériences dans le moment présent, avec acceptation et sans jugement10 . Elle favorise un contact avec soi, avec l’autre, avec ses sensations et ses expériences, en restant ancré⋅e dans le moment présent plutôt qu’avec les mémoires traumatiques du passé. La présence attentive peut ainsi diminuer, progressivement, les mécanismes d’évitement. La présence attentive peut favoriser le bien-être et la santé sexuelle à travers six façons9 ,11 ,12 ,13 ,14 :
- L’observation de ses sensations, avec curiosité, ouverture et sans jugement;
- L’acceptation de soi et de son corps tel qu’il est;
- Une plus grande capacité à connecter avec l’autre intimement, de façon authentique;
- Une meilleure connaissance de soi, qui mène graduellement vers une meilleure estime de soi;
- Des agirs conscients, bien ancrés dans l’écoute de soi, de ses limites et de ses valeurs;
- Une capacité à vivre sa sexualité de façon holistique, par exemple en focalisant moins sur la performance, en priorisant la connexion avec l’autre comme moteur des relations sexuelles, en impliquant l’ensemble des sensations à la sexualité, etc.
Malgré ses bienfaits, la présence attentive peut amener les survivant⸱e⸱s de traumas à reprendre contact avec des expériences douloureuses du passé. Il importe donc de favoriser une présence attentive ancrée dans l’approche sensible au trauma15 en tenant compte des pistes suivantes :
- Dès que vous remarquez qu’une émotion, une sensation ou une pensée émerge, tentez de rester attentif⸱ve à cette expérience, avec curiosité, sans y porter de jugement (par exemple, évitez de qualifier une sensation ou émotion de « bonne ou mauvaise », de « positive ou négative » à cette étape d’observation, afin d’accueillir le vécu comme il survient).
- Si vous décidez de cultiver votre présence attentive dans votre sexualité, soyez à l'écoute de ce qui vous semble sécuritaire (par exemple, choisir avec qui pratiquer sa sexualité, l’endroit et le contexte, reportez une activité ou dites non au besoin). Un contexte de sécurité est essentiel à la guérison et au mieux-être sexuel.
- Pratiquez la sexualité en présence attentive en adaptant l’environnement à vos cinq sens, selon vos préférences. Par exemple, ajustez l’éclairage, les sons et les odeurs. En effet, se sentir à l’aise dans son environnement physique peut aider à demeurer en présence attentive.
- Si vous êtes en relation intime, vous pouvez travailler avec votre partenaire. Communiquez ce que vous aimez et demandez ce qui fait plaisir à l’autre sexuellement. Remarquez ce que vos cinq sens vous apportent comme informations (préférence pour un toucher léger ou soutenu, portez attention aux sensations dépendamment si vos yeux sont ouverts ou fermés, etc.).
- Intégrez des pratiques de présence attentive dans votre vie quotidienne. L’intégration de pratiques de présence attentive telles que la méditation ou la marche en présence attentive peuvent apporter des bienfaits transposables à la vie sexuelle. N’hésitez pas à ajuster vos pratiques de façon très flexible, à méditer les yeux ouverts, à utiliser des points d’ancrage qui vous calment (respiration, sensations corporelles ou objet externe comme point de concentration), en faisant preuve d’auto-compassion et en restant bienveillant⋅e envers vous-même lorsque vous rencontrez des difficultés.
Faire face aux difficultés sexuelles lorsqu’on a vécu des expériences traumatiques est un apprentissage non linéaire qui prend généralement du temps. Avec de la patience, des efforts, de l’auto-compassion et de l’aide professionnelle au besoin, les conséquences des traumas du passé sont mieux intégrées, laissant place à l’épanouissement sexuel.
La publication de article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article: Marcoux, L. et Godbout, N. (2023, 9 janvier). La présence attentive pour atténuer les difficultés sexuelles des survivant⋅e⋅s de traumas. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/la-presence-attentive-pour-attenuer-les-difficultes-sexuelles-des-survivantes-de-traumas
- 2Bigras, N., Godbout, N., & Briere, J. (2015). Child sexual abuse, sexual anxiety, and sexual satisfaction: The role of self-capacities. Journal of Child Sexual Abuse, 24(5), 464-483.
- 3Baumann, M., Bigras, N., Paradis, A., & Godbout, N. (2020). It’s good to have you: The moderator role of relationship satisfaction in the link between child sexual abuse and sexual difficulties. Journal of Sex & Marital Therapy, 47(1), 1-15
- 4Vaillancourt-Morel, M. P., Godbout, N., Labadie, C., Runtz, M., Lussier, Y., & Sabourin, S. (2015). Avoidant and compulsive sexual behaviors in male and female survivors of childhood sexual abuse. Child Abuse & Neglect, 40, 48-59.
- 5 a b c Bigras, N., Daspe, M. È., Godbout, N., Briere, J., & Sabourin, S. (2017). Cumulative childhood trauma and adult sexual satisfaction: Mediation by affect dysregulation and sexual anxiety in men and women. Journal of Sex & Marital Therapy, 43(4), 377-396.
- 6Bigras, N., Godbout, N., Hebert, M., & Sabourin, S. (2017). Cumulative adverse childhood experiences and sexual satisfaction in sex therapy patients: What role for symptom complexity? Journal of Sexual Medicine, 14(3), 444–454.
- 7Myers, I. J., Berliner, L., Briere, J., Hendrix, C. T., Reid, T., & Jenny, C. (2002). Treating adult survivors of severe childhood abuse and neglect: Further development of an integrative model. JEB Myers, L. Berliner, J. Briere, CT Hendrix, T. Reid, & C. Jenny. The APSAC handbook on child maltreatment.
- 8Godbout, N., Bakhos, G., Dussault, É., & Hébert, M. (2020). Childhood interpersonal trauma and sexual satisfaction in patients seeing sex therapy: Examining mindfulness and psychological distress as mediators. Journal of Sex & Marital Therapy, 46(1), 43-56.
- 9 a b Dussault, É., Fernet, M., & Godbout, N. (2020). A metasynthesis of qualitative studies on mindfulness, sexuality, and relationality. Mindfulness, 11(12), 2682-2694.
- 10Kabat-Zinn, J. (2003). Mindfulness-based interventions in context: Past, present, and future. Clinical Psychology: Science and Practice, 10(2), 144–156.
- 11Laumann, E. O., Paik, A., & Rosen, R. C. (1999). Sexual dysfunction in the United States: Prevalence and predictors. JAMA: Journal of the American Medical Association, 281(6), 537–544.
- 12Bossio, J. A., Basson, R., Driscoll, M., Correia, S., & Brotto, L. A. (2018). Mindfulness-based group therapy for men with situational erectile dysfunction: A mixed-methods feasibility analysis and pilot study. The Journal of Sexual Medicine, 15(10), 1478-1490.
- 13Brotto, L. A., & Basson, R. (2014). Group mindfulness-based therapy significantly improves sexual desire in women. Behaviour Research and Therapy, 57, 43-54.
- 14Leavitt, C. E., Lefkowitz, E. S., & Waterman, E. A. (2019). The role of sexual mindfulness in sexual wellbeing, Relational wellbeing, and self-esteem. Journal of sex & Marital Therapy, 45(6), 497–509.
- 15Treleaven, D. A. (2018). Trauma-sensitive mindfulness: Practices for safe and transformative healing. W. W. Norton & Co.