Avoir vécu une agression sexuelle en enfance peut-il mener à subir à nouveau une agression sexuelle à l’âge adulte ? Selon les études scientifiques, c’est près de la moitié des personnes survivantes d’agression sexuelle en enfance qui subiront à nouveau une agression sexuelle à l’âge adulte1 . Ce phénomène complexe, nommé revictimisation sexuelle, peut être provoqué par divers facteurs qui nécessitent une meilleure prise en charge des personnes survivantes.
La revictimisation sexuelle correspond à un ou plusieurs épisodes d’agression sexuelle vécus dans l’enfance ou l’adolescence qui sont suivis par au moins une autre expérience d’agression sexuelle à l’âge adulte2 . On estime qu’environ une fille sur cinq et un garçon sur dix subissent une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans3 .
Les survivant·e·s d’agression sexuelle en enfance sont deux à trois fois plus à risque de vivre d’autres agressions sexuelles à l’âge adulte que les personnes qui n’ont pas vécu d’agression sexuelle en enfance1 . Ainsi, le fait d’avoir vécu une expérience d’agression sexuelle est associé à un plus grand risque d’en subir une à nouveau.
Comprendre le phénomène
Mais pourquoi? Le modèle écologique aide à comprendre pourquoi les survivant·e·s d’agression sexuelle durant l’enfance sont plus à risque de revivre une agression sexuelle à l’âge adulte4 . Selon ce modèle, il y a quatre types d’influences qui augmentent les risques de revictimisation sexuelle chez les survivant·e·s :
-
Les impacts sexuels de la première victimisation : Avoir vécu une agression sexuelle pendant l'enfance peut laisser des séquelles profondes et altérer la perception de la sexualité chez l’individu. Par exemple, les personnes survivantes peuvent associer la sexualité à l’affection, ce qui peut mener à une certaine tolérance des activités sexuelles non consenties pour faire plaisir à l’autre et se sentir aimé·e5 . Une autre possibilité est une vision désinhibée de la sexualité, c’est-à-dire une banalisation des comportements sexuels pouvant être risqués pour soi, comme les activités sexuelles en contexte de consommation de substances durant lesquels il est plus difficile de reconnaitre le danger ou de mettre ses limites6 . Bien que cette vulnérabilité accrue ne soit en aucun cas la responsabilité des survivant·e·s, ces deux éléments peuvent entraver le développement d’une sexualité saine et épanouie tout en positionnant les survivant·e·s comme cibles pour des agresseur·e·s.
-
Les impacts psychologiques de la première victimisation : Certains facteurs psychologiques peuvent augmenter la vulnérabilité des survivant·e·s à la revictimisation. Par exemple, les survivant·e·s peuvent souffrir de dissociation, qui fait référence à un état de conscience altéré provoquant une déconnexion entre le corps et l’esprit. La dissociation peut donner l’impression d’être à l’extérieur de son corps, occasionner des pertes de mémoire significatives, ou donner l’impression que ce que l’on vit est irréel ou comme dans un rêve3 ,7 . Ce mécanisme inconscient peut rendre plus difficile la détection et l’évitement d’un danger, ce qui augmente les risques de se retrouver dans une situation dangereuse pour soi.
-
Le réseau de soutien : L’entourage de la personne survivante joue un rôle important quant à son rétablissement à la suite d’une agression sexuelle, ce qui affecte à son tour le risque de revictimisation. Les réactions face à un dévoilement d’agression sexuelle peuvent notamment influencer la confiance de la personne envers les autres8 . Des réactions négatives (p. ex., ne pas être cru·e) peuvent brimer la confiance de la personne survivante envers les autres, augmenter l’isolement social et nuire au dévoilement de futures expériences potentielles de victimisation. De plus, les survivant·e·s d’agression sexuelle, particulièrement celleux isolé·e·s, peuvent être davantage ciblé·e·s par des personnes mal intentionnées ou abusives. Ces dernières peuvent manipuler les survivant·e·s en leur faisant croire qu’iels sont responsables de leur propre victimisation et qu’iels n’ont pas de valeur personnelle, des croyances qui sont adoptées par une grande proportion de survivant·e·s qui ont souvent une plus faible estime de soi9 .
-
Le contexte culturel : Dans notre société, il y a une tendance à mettre le blâme sur les victimes pour les actes commis par leurs agresseur·es3 . C’est ce qu’on appelle la culture du viol. Par exemple, on peut entendre des propos comme « la victime a incité l’agresseur·e à poser des gestes déplacés en le·la séduisant préalablement ou bien en raison des vêtements qu’elle portait ». Les survivant·e·s peuvent intérioriser ces messages et s’attribuer le blâme de leur propre victimisation. Or, croire que nous sommes responsables de la violence subie nuit à la guérison du trauma, à l’estime de soi, au dévoilement de l’agression sexuelle, ainsi qu’à la recherche d’aide, plaçant les survivant·e·s dans une position plus vulnérable à la revictimisation.
Bref, les conséquences de l’agression sexuelle en enfance sur l’individu agissent comme facteurs de vulnérabilité à être revictimisé·e·s et nuisent à la guérison des survivant·e·s.
Comment prévenir la revictimisation sexuelle
Bien que ces informations semblent accablantes, il y a tout de même de l’espoir pour les survivant·e·s. Plusieurs éléments peuvent être mis en place pour favoriser la protection de soi contre la revictimisation sexuelle. Ces éléments sont ce qu’on appelle des facteurs de protection, puisqu’ils diminuent les conséquences des expériences traumatiques comme l’agression sexuelle en enfance, et augmentent la résilience des individus10 ,11 . En voici quelques exemples :
-
Entretenir un réseau de soutien social sain. Pour ce faire, il est possible de tisser et de maintenir des relations avec des personnes qui valorisent et aident la personne survivante à rétablir son sentiment de sécurité et de briser l’isolement10 ,11 .
-
Trouver un sens à sa vie, comme voir au-delà des violences subies, cultiver son optimisme et sa gratitude envers les éléments positifs de sa vie10 ,11 .
-
Trouver des stratégies saines pour réguler ses émotions et se tourner vers un but concret qui redonne de l’espoir en l’avenir et favorise la motivation à prendre soin de soi entreprendre des nouveaux projets10 ,11 .
-
Acquérir des nouvelles compétences pour augmenter son estime de soi.
-
Développer son assertivité sexuelle, c’est-à-dire sa capacité à dire « non », à reconnaitre et faire valoir ses propres besoins, désirs et limites, dans le contexte de la sexualité.
En conclusion, avoir subi une agression sexuelle en enfance ne signifie pas nécessairement que l’on va revivre ce trauma à l’âge adulte, mais il peut être utile de repérer ses propres facteurs de risque et de protection afin d’augmenter la prévention de futures expériences d’agression sexuelle. Il est, par exemple, recommandé de rendre plus conscient·e·s les survivant·e·s d’agression sexuelle de leurs forces et de leurs capacités. En d’autres mots, pour aider les survivant·e·s après un trauma aussi marquant qu’une agression sexuelle, il est important de renforcer leur capacité à faire face à l’adversité et aux difficultés du quotidien, ce qui peut les aider à retrouver un certain pouvoir sur leur propre vie et à atténuer leur sentiment d’impuissance face à leur expérience. L’objectif visé est de les accompagner dans le développement de leur résilience et leur capacité d’agir, sans responsabiliser les survivant·e·s quant à leur vécu.
La résilience et la capacité d’agir, qui sont favorisées par la diminution des facteurs de risque (comme la dissociation) et la mise en avant des facteurs de protection (comme un réseau de soutien aidant), peuvent aider les survivant·e·s avec la gestion de leurs émotions, l’augmentation de leur estime de soi et leur sentiment de contrôle sur leur vie. Finalement, les victimes ne sont pas responsables de leurs victimisations. Les seul·e·s coupables sont les agresseur·e·s. Avec les bons outils, il est possible de se sortir du cycle de la violence et de reprendre le contrôle de sa vie, malgré les expériences traumatiques.
Si vous avez besoin d’aide à ce sujet :
- Info-aide violence sexuelle : 1-888-933-9007 https://infoaideviolencesexuelle.ca/
- Centre pour victimes d’agression sexuelle de Montréal (CVASM) : 514-934-4504 https://cvasm.org/
- Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) : 1-888-933-9007 www.rqcalacs.qc.ca
- SOS violence conjugale : 1-800-363-9010 https://www.sosviolenceconjugale.ca/
- Option alternative à la violence conjugale et familiale : 514-527-1657 https://www.optionalternative.org/
- CRIPHASE (Centre de ressources et d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance) : 514-529-5567 https://criphase.org/
- Aide aux victimes d'agression sexuelle du CIUSSS du Centre-Sud : https://ciusss-centresudmtl.gouv.qc.ca/soins-et-services/aide-aux-victimes-dagression-sexuelle
Cet article de blogue a originalement été rédigé dans le cadre du cours Adultes victimes de violence durant l'enfance enseigné par Natacha Godbout, directrice de TRACE, à l’UQAM à l’automne 2023. La publication de article a aussi été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article: Girard, M. et Chrétien, A. (2024, 26 août). La persistance des ombres du passé. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/la-persistance-des-ombres-du-passe
- 1 a b Walker, H. E., Freud, J. S., Ellis, R. A., Fraine, S. M., et Wilson, L. C. (2019). The prevalence of sexual revictimization: A meta-analytic review. Trauma, Violence, & Abuse, 20(1), 67-80. https://doi.org/10.1177/1524838017692364
- 2Institut national de santé publique du Québec. (2015). Rapport québécois sur la violence et la santé (publication no 2380). https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2380_rapport_quebecois_violence_sante.pdf
- 3 a b c Stoltenborgh, M., Van Ijzendoorn, M. H., Euser, E. M., et Bakermans-Kranenburg, M. J. (2011). A global perspective on child sexual abuse: Meta-analysis of prevalence around the world. Child Maltreatment, 16(2), 79-101. https ://doi.org/10.1177/1077559511403920
- 4Grauerholz, L. (2000). An ecological approach to understanding sexual revictimization: Linking personal, interpersonal, and sociocultural factors and processes. Child Maltreatment, 5(1), 3-80. https ://doi.org/10.1177/1077559500005001002
- 5Finkelhor, D., et Browne, A. (1985). The traumatic impact of child sexual abuse: A conceptualization. American Journal of Orthopsychiatry, 55(4), 530 541. https://doi.org/10.1111/j.1939-0025.1985.tb02703.x
- 6Noll, J. G., et Grych, J. H. (2011). Read-react-respond: An integrative model for understanding sexual revictimization. Psychology of Violence, 1(3), 202–215. https://doi.org/10.1037/a0023962
- 7Briere, J. (2011). Trauma Symptom Inventory-2 (TSI-2). Psychological Assessment Ressources.
- 8Therriault, C., Bigras, N., Hébert, M., et Godbout, N. (2020). All involved in the recovery: Disclosure and social reactions following sexual victimization. Journal of Aggression, Maltreatment & Trauma, 29(6), 661-679. https://doi.org/10.1080/10926771.2020.1725210
- 9Girard, M., Fernet, M., et Godbout, N. (2023). “Like a mouse pursued by the snake”: A qualitative metasynthesis on the experiences of revictimization among women survivors of childhood sexual abuse and partner violence. Trauma, Violence, & Abuse, 25(3), 2407–2420. https://doi.org/10.1177/15248380231214783
- 10 a b c d Hamby, S., Taylor, E., Mitchell, K., Jones, L., et Newlin, C. (2020). Poly-victimization, trauma, and resilience: Exploring strengths that promote thriving after adversity. Journal of Trauma & Dissociation, 21(3), 376–395. https://doi.org/10.1080/15299732.2020.1719261
- 11 a b c d Grych, J., Hamby, S., et Banyard, V. (2015). The resilience portfolio model: Understanding healthy adaptation in victims of violence. Psychology of Violence, 5(4), 343 354. https://doi.org/10.1037/a0039671