Stéphanie a toujours aimé aider les gens. C’est pourquoi elle a fait d’aider les autres sa vocation professionnelle.
Elle aime les écouter, les soigner, les accompagner et leur apporter du soutien.
Stéphanie est intervenante à la protection de la jeunesse. Cela est le travail dont elle a toujours rêvé et qui la passionne.
Sauf aujourd’hui. Aujourd’hui, Stéphanie est fatiguée et épuisée.
Elle se sent impuissante face à ses patient·e·s. De sa passion découlent maintenant de la colère et de l’intolérance. Depuis quelques temps déjà, elle a développé de l’anxiété juste à penser aux obstacles de ses patient·e·s. Elle s’isole davantage, fait de l’insomnie, est plus irritable et émotive que jamais. Il en résulte, malgré elle, une perte d’intérêt pour son travail. Elle se questionne sur comment aider les gens.
Stéphanie est fatigué·e. Elle souffre de fatigue de compassion.
Es-tu fatigué·e, toi aussi?
Qu’est-ce que la fatigue de compassion ?
Travailler en relation d’aide est un domaine professionnel gratifiant et qui demande une grande empathie. Cependant, prendre soin des autres n’est pas sans risque pour soi-même. Les symptômes de la fatigue de compassion incorporent ceux de l’épuisement professionnel et du trouble de stress post-traumatique1 . L’épuisement professionnel est dû à un stress prolongé au sein de l’environnement de travail, tandis que le stress post-traumatique peut apparaître à la suite d’un événement traumatique. Quant à elle, la fatigue de compassion est liée à la relation et aux échanges entre les aidant·e·s et les aidé·e·s2 .
En somme, la fatigue de compassion est un sentiment d’épuisement physique et émotionnel éprouvé par les intervenant·e·s suite aux événements traumatisants vécus par leurs patient·e·s qui leur sont racontés ou desquels iels sont témoins3 . Les personnes les plus à risque d’en vivre sont celles travaillant en première ligne, c’est-à-dire, les professionnel·le·s qui sont confronté·e·s, de manière constante et régulière, à la détresse psychologique et la souffrance de leur patient·e·s. Parmi les intervenant·e·s de première ligne, on inclut principalement des policier·ère·s, pompier·ère·s, ambulancier·ère·s, travailleur·euse·s sociaux·ales, infirmi·er·ères, médecins, avocat·e·s, aides-soignant·e·s, psychologues et sexologues4 .
Les personnes victimes de traumas sont très nombreuses à avoir recours aux services de première ligne, ce qui expose les intervenant·e·s travaillant dans ces milieux aux récits et aux vécus des survivant·e·s et les met à risque de vivre à leur tour des traumas. En ce sens, la neuroscience explique la fatigue de compassion par un effet du nom « neurone miroir »5 . Lors des rencontres entre l’intervenant·e et les victimes de traumatismes, le cerveau de l’intervenant·e reproduit les mêmes émotions que celles de la victime. Le trauma prend racine dans une incapacité de l’individu à retrouver l’équilibre à la suite d’événements perturbants. Le fait d’être constamment exposé·e·s aux états émotionnels chez les survivant·e·s met les intervenant·e·s dans une position à risque de vivre à leur tour des symptômes de trauma et de vivre une fatigue de compassion6 .
La fatigue de compassion peut mener au développement d’un choc post-traumatique7 . L’aidant·e· peut avoir des pensées intrusives, comme des rêves qui relatent les évènements traumatiques vécus par l’aidé·e, ou des flashbacks comme si l’événement lui était arrivé directement. L’aidant·e peut chercher à éviter les souvenirs du traumatisme, car ceux-ci lui provoquent un sentiment de détresse. Des changements d’humeur (anxiété, irritabilité) et de comportement (isolement, négligence des soins personnels) de l’aidant·e· peuvent également être remarqués. De là se crée une difficulté à effectuer son travail de manière optimale, ce qui met aussi à risque le·la professionel·le de développer une dépression, voire de devoir mettre fin à sa carrière.
Mieux prendre soin de soi pour mieux prendre soin des autres
Plusieurs stratégies peuvent être mises en place pour prévenir la fatigue de compassion. Ultimement, il importe de prendre soin de soi de façon continue lorsqu’on est exposé·e à la détresse et à la souffrance des aidé·e·s. Voici quelques pistes pour prévenir la fatigue de compassion chez les intervenant·e·s de première ligne :
- La reconnaissance de ses difficultés :
- Reconnaitre la présence d’un problème est le point de départ pour aller mieux. En reconnaissant l’existence de la fatigue de compassion et de ses effets, il devient possible d’identifier les facteurs de risque et donc, mieux s’en protéger.
- La conscience de soi :
- L’introspection est une tâche difficile pour certain·e s. C’est pourtant un élément primordial pour le travail d’aidant·e. Apprendre à se connaître est indispensable afin de comprendre et de préserver sa santé mentale. Être capable d’interpréter ses réactions dans de différentes situations permet de mieux s’y préparer. Être conscient·e de ses émotions (par exemple, déprime, colère) et de ses sensations (boule de stress dans le ventre, transpiration) est un puissant repère pour s’écouter.
- En prenant soin de les identifier, de prendre conscience de ses traumas, on s’offre la chance d’adapter son travail en fonction de ses besoins, et ainsi, de prévenir les risques de fatigue de compassion.
- Les soins physiques :
- Il est important de prendre soin de son corps, d’adopter de saines habitudes de vies, dont une bonne alimentation, de l’activité physique et un sommeil suffisant et réparateur. De saines habitudes de vie favorisent une bonne santé mentale.
- Les soins émotionnels et cognitifs :
- S’offrir des moments de réconfort, d’activités agréables, de simplicité et de plaisir est essentiel au maintien de son équilibre personnel et professionnel! Les humains ont besoin de prendre du temps en nature, d’éprouver de la gratitude, de prendre des moments de réflexions profondes, d’être en relation avec les autres et de rire8 .
- Les soins professionnels :
- Le travail occupe une majeure partie du quotidien. Il est donc essentiel d’entretenir un climat de travail optimal, que ce soit de personnaliser son environnement de travail, ou de créer des liens interpersonnels avec les collègues afin de créer un sentiment de bien-être plus fort. Il est aussi primordial de se fixer des limites professionnelles et de les communiquer au besoin.
- Notons que les employeur·e·s ont également une responsabilité importante face à la santé mentale de leurs employé·e·s. En effet, la fatigue de compassion n’est pas qu’une difficulté individuelle ; elle peut aussi être due à un appui insuffisant de la part des institutions.
En somme, les professions dans le domaine de la relation d’aide sont exigeantes sur les plans psychologique et émotionnel, et présentent un risque de vivre des conséquences liées aux traumas, même sans y avoir été directement exposé·e·s. Cependant, avec des soins préventifs et un milieu de travail adapté aux besoins des intervenant·e·s, les risques de fatigue de compassion peuvent être minimisés.
Au besoin, voici quelques ressources qui peuvent vous être utiles :
- BounceBack | Retrouver son entrain Québec
- Groupe d'Entraide G.E.M.E. - Entraide, Service Social
- Programme d’aide aux médecins du Québec
- La maison de thérapie La Vigile
*Cet article a été rédigé dans le cadre du cours Adultes victimes de violence durant l’enfance, enseigné par la directrice de TRACE, Natacha Godbout, à l’automne 2021.
Pour citer cet article: Lavoie Simard, R. (2022, 19 mai). La fatigue de compassion. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/la-fatigue-de-compassion
- 1Ondrejkov, N., et Halamová, J. (2022, 16 janvier). Prevalence of compassion fatigue among helping professions and relationship to compassion for others, self-compassion and self- criticism. Health and social care community. 1-15. DOI: DOI: 10.1111/hsc.13741
- 2Goetz, J. L., Keltner, D., et Simon-Thomas, E. (2010). Compassion: An evolutionary analysis and empirical review. Psychological Bulletin, 136(3), 351–374. DOI : 10.1037/a0018807
- 3Richardson, J. (2008). Guide sur le traumatisme vicariant : Solutions recommandées pour les personnes luttant contre la violence. Santé Canada. https://publications.gc.ca/collections/collection_2008/phac-aspc/H72-21…
- 4Thomas, P. Barruche, G., et Hazif-Thomas, C. (2012). La souffrance des soignants et la fatigue de compassion. La revue francophone de gériatrie et de gérontologie, 19 (187), 266-273.
- 5Jambon, C. (2016, 12 avril). Tout comprendre sur les neurones miroirs en moins de 3 minutes. Apprendre à éduquer. https://apprendreaeduquer.fr/une-animation-pour-decouvrir-les-neurones-…
- 6Brillon, P. (2020). Entretenir ma vitalité d’aidant. Les éditions de l’Homme.
- 7Cocker, F., et Joss, N. (2016). Compassion fatigue among healthcare, emergency and community service workers: A systematic review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 13(6), 618. DOI: 10.3390/ijerph13060618
- 8 Perreault, C. (2004). Fatigue des intervenants-es : Comment composer avec les effets de la violence. Association québécoise Plaidoyer-Victime, 4, 1-10. https://aqpv.ca/wp-content/uploads/2004_m3.pdf