Imaginez-vous à la place d’un·e jeune souvent isolé·e de son entourage, dont la vie tourne autour d’un objectif pour lequel iel est prêt·e à faire plusieurs sacrifices dans le but de réussir. Une personne en particulier, son entraîneur·e, détient la clé de cette réussite, ce qui lui donne beaucoup de pouvoir. C’est dans cette position de vulnérabilité que se retrouvent les jeunes athlètes de haut niveau par rapport à leur entraîneur·e sportif·ve, ce qui crée un contexte propice aux violences sexuelles.
Les violences sexuelles chez les athlètes mineur·e·s sont un enjeu grave. Selon une étude faite au Québec, plus du quart des athlètes (filles et garçons de 14 à 17 ans) ont rapporté au moins une expérience de violence sexuelle dans le cadre de leur pratique sportive1 . Les pair·e·s athlètes seraient responsables dans près de six cas sur dix et les entraîneur·e·s, dans quatre cas sur dix1 .
Qui sont ces athlètes ?
Selon les données actuelles, toustes les athlètes sont à risque de vivre de la violence sexuelle dans le milieu du sport, mais ce risque semble plus grand pour les athlètes de compétition et les jeunes de la diversité sexuelle2 . Quant à elleux, les agresseur·e·s sont souvent des hommes, bien que les femmes puissent aussi commettre des violences sexuelles. Ajoutons également que les garçons peuvent en être victimes et les violences sexuelles entre personnes de même genre sont plus courantes qu’on peut le penser3 .
Le pédopiégeage, à la base des agressions
Le pédopiégeage (grooming) est défini comme un processus trompeur utilisé par les agresseur·e·s pour amadouer leur victime mineure et ainsi faciliter de futurs contacts sexuels avec elle sans se faire repérer4 . Prenons l’exemple d’un·e entraîneur·e qui se montre sympathique avec un·e athlète qu’iel entraîne, lui offre des cadeaux, lui consacre des périodes d’entraînement particulières, etc.3 . Iel gagne alors la confiance de l’athlète et de sa famille. Les limites entre l’agresseur·e et sa victime se brouillent, ainsi que les limites entre l’agresseur·e et la famille de sa victime, qui lui fait de plus en plus confiance3 . Iel se permet de se rapprocher d’elle et de poser des gestes à caractère sexuel sans que cela soit d’emblée perçu comme une agression par la victime3 . Elle peut même croire qu’il s’agit d’une relation amoureuse, mais il faut se rappeler que cet·te entraîneur·e est en position d’autorité3 . De ce fait, une relation sexuelle entre un·e entraîneur·e et un·e athlète mineur·e est légalement un acte de violence sexuelle au Québec.
La dynamique entraîneur·e / athlète : Un contexte particulier
Le contexte sportif a un immense impact sur la vulnérabilité des jeunes athlètes. Les jeunes qui pratiquent un sport à des niveaux de compétition vivent plus de victimisation sexuelle que celleux qui pratiquent de façon récréative5 . En effet, c’est dans ce contexte de compétition que le sport devient plus central dans la vie du·de la jeune. Celui·celle-ci peut ainsi être perçu·e davantage comme un·e athlète qui doit gagner que comme un·e jeune en développement. Les voyages sont plus fréquents, les entraînements sont plus intenses, le·la jeune est davantage laissé·e à ellui-même et l’équipe professionnelle encadrant la discipline sportive du·de la jeune prend une place plus importante6 .
Les pratiques normalisées en contexte d’entraînement sportif exercent aussi une grande influence sur l’expérience des athlètes. Certaines pratiques néfastes et non éthiques des entraîneur·e·s (par exemple, ignorer, rabaisser, se mettre en colère, etc.) sont souvent banalisées et justifiées au nom de la performance. Elles sont d’ailleurs moins dénoncées si l’athlète est performant·e, puisque l’atteinte des objectifs de performance de l’athlète vient, en quelque sorte, « légitimer » les mauvais traitements. Dans le cas des violences sexuelles, lorsque les athlètes-victimes sont jeunes, iels n’ont souvent pas les mots et l’éducation nécessaires pour définir leur expérience et réaliser ce qu’iels ont subi. Lorsqu’iels le réalisent, la peur de ne pas être cru·e·s les empêche fréquemment de dénoncer ces violences. Cela est d’ailleurs favorisé par les organisations qui tendent à protéger les agresseur·e·s en entretenant une culture du silence6 . Nous pouvons penser à la récente affaire de Hockey Canada, où nous avons appris qu’un fonds de réserve financé par les frais d’inscription au hockey mineur était utilisé pour régler officieusement les réclamations pour agressions sexuelles.
Verbaliser les tabous de la communauté et tenir responsables les organisations sportives des violences sexuelles vécues par les jeunes athlètes est un devoir de société2 . En étant proactif·ve·s, informé·e·s et solidaires, nous pouvons créer un environnement sportif plus sûr et plus sain pour les jeunes athlètes.
Ressources d’aide et pistes d’action pour lutter contre les violences sexuelles en milieu sportif
Pour toustes :
- Si vous soupçonnez de la violence, sachez que toustes les Québécois·e·s ont l’obligation légale de signaler les situations de violences physiques et d’agressions sexuelles impliquant des mineur·e·s au Directeur de la protection de la jeunesse.
- Vous pouvez faire un signalement par écrit ou par téléphone 24h/24.
- Recevoir un dévoilement peut être difficile. Toutefois, faire un dévoilement l’est tout autant. Si un·e jeune vous dévoile avoir été victime de violences au sein de sa discipline sportive, assurez-vous d’adopter des attitudes aidantes à son égard.
- Plusieurs ressources d’aide pour les victimes, les proches ou les témoins existent, comme:
- La ligne d’écoute Info-aide violences sexuelles (24/7 : 1 888 933-9007)
- Les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (1-877-717-5252);
- Les Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (1 866 532-2822);
- Les lignes d’écoute pour les jeunes telles que Tél-Jeunes (1 800-263-2266);
- L’Indemnisation des victimes d’actes criminels, si la personne ressent le besoin de recevoir des services comme un suivi psychosocial (1 800-561-4822);
- La Chaire de recherche Sécurité et intégrité en milieu sportif, dirigée par Sylvie Parent, professeure à l’Université Laval, contient une rubrique de mobilisation des connaissances sur son site web. Il est possible d’y repérer différentes ressources pour s’informer sur la problématique.
- Sport’aide, une ligne d’écoute spécifique au sport, peut aussi aider les athlètes (1-833-211-2433).
Pour les athlètes, plusieurs pistes d’action, en plus des ressources nommées ci-haut, sont offertes :
- Il est important de parler de ses préoccupations avec un·e adulte de confiance qui ne fait pas partie du domaine sportif : un·e enseignant·e, un parent ou un·e professionnel·le qui peut accueillir un dévoilement. Ce poids à porter n’est pas que celui des athlètes. Les violences en milieu sportif, de nature sexuelle ou non, peuvent cesser.
- Le·a seul·e responsable de la violence est l’agresseur·e. Nous encourageons les athlètes à ne pas se blâmer pour les actes dont iels et/ou un·e athlète proche d’elleux ont été victimes.
- Essayer de rencontrer des gens hors de la culture du sport d’élite et faire d’autres types d’activités, afin de connaître d’autres expériences et d’être moins enraciné·e·s dans la culture sportive2 .
- Cultiver des réussites qui ne sont pas en lien avec le sport pour ressentir moins de pression de performance et ne pas craindre de ne pas avoir d’avenir sans le sport2 .
Pour les parents :
- Dialoguer avec l’entraîneur·e et le·la jeune, questionner les pratiques et prioriser le bien-être du·de la jeune, au-delà de sa performance.
- Même si les entraîneur·e·s ont une grande influence sur plusieurs aspects de la vie des athlètes, par exemple leur diète alimentaire ou le nombre d’heures de pratiques sportives, cela devrait rester circonscrit autant que possible au domaine du sport afin de minimiser l’emprise que ces dernier·ère·s ont sur elleux.
- Favoriser un espace sûr où l’athlète se sent à l’aise de discuter de ses préoccupations ou de ses expériences. Il est important qu’iel se sente en confiance et que ses figures parentales soient là pour le·la soutenir inconditionnellement.
- Rester particulièrement attentif·ve à tout changement de comportement, d’attitude ou d’humeur chez l’athlète.
Pour les entraîneur·e·s :
- Prendre conscience que son influence sur les athlètes est immense : il est important de choisir ses mots et actions avec soin2 .
- Partager le pouvoir avec les athlètes3 : prendre en compte ses priorités, expliquer son raisonnement, etc.
- Être humble. Il est important de dire explicitement à ses athlètes qu’on n’est pas parfait·e.
- En tant que témoins d’acte de violence de la part d’un·e collègue, ne pas fermer les yeux sur la situation. Le plus important est de s’assurer de l’intégrité physique et émotionnelle des athlètes. Il est possible d’offrir des ressources et du soutien. Documenter l’incident autant que possible et surtout, le signaler aux autorités, ainsi qu’aux parents.
*Il est important de noter que les études citées n’ont pas inclus d’athlètes trans et non binaires dans leur échantillon et qu’il est à ce jour difficile d’estimer l’importance des violences sexuelles vécues par cette population.
Cet article de blogue a originalement été rédigé dans le cadre du cours Victimisation sexuelle et interpersonnelle enseigné par notre membre Roxanne Guyon, au département de sexologie de l’UQAM à l’automne 2022.
- 1 a b Parent, S., Vaillancourt-Morel, M-P., et Corneau, M. (2018). Capsule infographique #5 : La violence sexuelle en contexte sportif. Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS), Université de Montréal, Montréal, Qc.
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- 3 a b c d e f Gaedicke, S., Schäfer, A., Hoffmann, B., Ohlert, J., Allroggen, M., Hartmann-Tews, I., et Rulofs, B. (2021). Sexual violence and the coach-athlete relationship-a scoping review from sport sociological and sport psychological perspectives. Frontiers in Sports and Active Living, 3, 643707. https://doi.org/10.3389/fspor.2021.643707
- 4Winters, G. M., Kaylor, L. E., et Jeglic, E. L. (2021). Toward a universal definition of child sexual grooming. Deviant Behavior, 43(8), 926-938. https://doi.org/10.1080/01639625.2021.1941427
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