Près d’une personne sur deux déclare avoir été exposée, durant son enfance, à des comportements agressifs de ses parents lors de conflits conjugaux 1 ,2 . Par « comportements agressifs », on fait référence au fait de crier, se plaindre ou d’être méchant·e l’un·e envers l’autre. Les conflits sont typiques dans un couple. Or, lorsque ces conflits sont mal gérés, ils risquent d’entraîner des conséquences négatives sur la santé mentale des parents et de leurs enfants, comme plus d’anxiété, des troubles de comportement, etc.3 ,4 . Les impacts de cette exposition à des comportements agressifs peuvent laisser des traces lorsque ces enfants deviennent adultes et parents à leur tour.
Une grande partie des adultes devient un jour parents. Lorsqu’on est un·e adulte qui a été exposé·e à un environnement conflictuel entre ses parents, une plus grande sensibilité au stress découle de cette exposition et peut affecter la façon dont on fait face aux évènements dans sa vie adulte, notamment en contexte de parentalité5 . En effet, la parentalité apporte un stress considérable, avec des changements - nouvelle routine, besoins différents, changements corporels - qui demandent des adaptations importantes6 .
Nous souhaitions mieux comprendre les effets de l’exposition aux comportements agressifs entre les parents durant l’enfance, sur la santé mentale et relationnelle des parents du Québec. C’est pourquoi notre équipe du Projet couples parentaux a recruté 611 parents ayant des enfants âgé·e·s d’en moyenne 30 mois. Nos résultats révèlent que pour les parents de jeunes enfants, l’exposition à des comportements agressifs entre ses propres parents en enfance est associée à:
- De la détresse psychologique.
- Des difficultés à former et maintenir des relations profondes avec les autres, à maintenir une vision de soi positive et à réguler efficacement des émotions fortes et intenses, comme la colère ou la peur.
- Une tendance à utiliser des stratégies destructrices lors de conflits, telles que la confrontation (par exemple, insulter ou attaquer son·sa partenaire dans ses faiblesses) et l’évitement (par exemple, rester en silence ou ignorer son·sa partenaire).
- De la violence physique et psychologique vécue dans leur relation de couple.
Les parents qui ont été exposés à répétition à des comportements agressifs entre leurs propres parents durant l’enfance peuvent avoir été privés d’un environnement sécuritaire. En effet, ces adultes n’ont probablement pas eu de bons modèles pour apprendre à interagir dans leurs relations avec les autres. L’hostilité dont iels ont pu être témoins dans leur enfance et l’impuissance qu’iels ont pu ressentir, peuvent avoir contribué au développement d’une image négative d’elleux-mêmes (par exemple : « je ne suis pas un·e bon·ne partenaire ») et des autres (par exemple : « il ne faut pas faire confiance aux autres »). De plus, il est possible qu’iels n’aient pas pu apprendre à bien réguler leurs émotions, une habileté qui est généralement apprise dès l’enfance au sein d’un environnement stable et sécurisant. Cette difficulté à réguler leurs émotions peut les rendre plus vulnérables lors de situations stressantes, comme la naissance d’un enfant. Ces parents rapportent aussi plus de difficultés dans la relation avec leur partenaire et coparent. Leur plus grande sensibilité aux signes de danger pourrait les amener à voir certains comportements du·de la partenaire, tels que hausser le ton de voix ou rester en silence, comme étant une menace pour leur bien-être7 . En retour, cela peut les conduire à adopter des attitudes défensives.
Pour illustrer nos propos, prenons le cas de Martin et Fanny, qui ont un fils de deux ans, Noah :
Martin a été témoin des disputes fréquentes de ses parents durant sa jeunesse. Ses parents se criaient dessus en se disant des mots blessants et des insultes. Iels pouvaient même lancer des objets. Lorsque Martin entendait les voix de ses parents s’élever dans la maison, il devenait stressé et inquiet de la conclusion des conflits. Aujourd’hui, lorsque Fanny est fâchée contre lui et le critique en haussant le ton de voix, Martin a le sentiment de revivre la même situation que durant son enfance et il se sent menacé. Il utilise alors des stratégies destructrices pour se défendre et crie à son tour contre Fanny. Il peut aussi arriver qu’il se replie sur lui-même pour éviter le conflit. Comme Martin a eu l’habitude de voir ses parents se disputer violemment, il accepte ce type d’attitude de la part de Fanny. Il a l’impression de mériter ces réactions et croit que toutes les relations contiennent une part de violence.
Conséquences pour les enfants
L’utilisation de comportements agressifs durant les conflits entre les parents peut être vécue par les enfants comme une menace à leur bien-être. Lorsqu’exposé·e·s à des conflits, iels peuvent par exemple se demander : « suis-je en danger ? » ; « est-ce que quelque chose de grave peut arriver à ma mère, à mon père, à ma famille ? ». Un·e enfant qui a souvent entendu ses parents crier lors de conflits pourrait être facilement bouleversé·e lorsqu’iel entend un adulte hausser la voix. Pour lui·elle, le changement du ton de voix devient alors un signal d’alarme qui indique une menace à son bien-être et cela peut entrainer une augmentation de son niveau de stress8 .
Ces enfants exposé·e·s à des comportements agressifs apprendront à leur tour que l’utilisation de stratégies destructrices et de la violence dans le couple est la norme en réaction aux conflits. Cela peut contribuer au maintien d’un cycle de violence qui se perpétue d’une génération à l’autre. Dans le cas de Noah, c’est en observant les comportements de ses propres parents lors de leurs conflits qu’il va lui-même apprendre comment se déroule un conflit. Une fois qu’il sera adulte, lors de conflits dans ses relations amoureuses, Noah pourra avoir tendance à imiter ses parents et reproduire des comportements agressifs, en adoptant par exemple des comportements de critique, de repli sur soi ou de forte réactivité émotionnelle.
Qu’est-ce que les parents peuvent faire pour briser ce cycle?
Les conflits au sein du couple sont inévitables et même importants pour le bon fonctionnement d’une relation. La clé, c’est de les résoudre de façon adéquate. Voici quelques stratégies9 ,10 :
- Concentrez-vous sur le problème en question : ne vous éparpillez pas et ne généralisez pas à l’ensemble de vos insatisfactions au sein de votre couple, ni à des comportements passés. En plus de diluer le problème, cela pourrait submerger votre partenaire qui se sentira probablement menacé·e.
- Trouvez des alternatives acceptables pour chacun·e : lorsqu’un·e des partenaires « gagne » un conflit, c’est le couple qui perd. Il importe de « mettre cartes sur table » et tenter d’y faire face comme une équipe.
- Exprimez-vous en utilisant le « je » plutôt que de critiquer l’autre, par exemple : « j’apprécierais que tu sois là plus souvent pour m’aider avec les enfants » ou « j’aimerais que tu m’écoutes quand je parle de ma journée au travail », plutôt que « tu ne m’aides pas avec les enfants » ou « tu ne m’écoutes jamais ».
- Écoutez le point de vue de votre partenaire et essayez de vous mettre à sa place, par exemple : « si je comprends bien, tu te sens souvent seul·e avec les enfants et tu aimerais me sentir plus présent·e? » ou « tu as l’impression que je ne porte pas d’attention à ce que tu dis et tu aimerais que je sois plus à l’écoute? ». Il est généralement utile de prendre le temps de refléter ce que l’autre essaie de communiquer sans vous défendre et avant d’expliquer votre point de vue et d’essayer de trouver une solution. N’hésitez pas à reconnaitre vos torts lorsque c’est nécessaire, ainsi qu’à poser des actions concrètes pour éviter de les répéter !
- Soyez prêt·e à faire des compromis tout en vous respectant, afin de trouver des solutions qui fonctionnent pour vous et votre partenaire.
- Tenez compte de votre langage corporel : regardez l’autre dans les yeux, hochez de la tête lorsque l’autre parle. La posture et les expressions faciales envoient des signaux importants à votre partenaire. Votre message passera mieux si vos paroles sont cohérentes avec votre langage non verbal.
- Tentez d’exprimer votre reconnaissance ou appréciation envers votre partenaire durant la gestion du conflit, par exemple : « j’apprécie que tu aies le courage d’en parler, que tu prennes le temps d’en discuter avec moi », ou « je sais que cette situation est difficile, mais j’ai envie qu’on fasse ce qu’il faut pour passer à travers ».
- Célébrez les victoires ! Félicitez-vous pour les moments où vous avez bien communiqué ou résolu des problèmes ensemble.
Le stress rend le contrôle des comportements agressifs plus difficile et sous le coup de l’émotion ; le risque est plus élevé d’utiliser le sarcasme ou des comportements qui peuvent blesser l’autre. Pour les éviter, vous pouvez utiliser quelques stratégies, comme :
- Choisir le bon moment pour vous parler : ne commencez pas une discussion lorsque vous êtes rempli·e d’émotions, trop fatigué·e ou devant les enfants9
.
- Si vous vous sentez dépassé·e ou submergé·e, vous devez d’abord vous calmer avant d’aborder des sujets sensibles, par exemple : vous retirer seul·e dans une pièce ou aller marcher.
- Développer des compétences d'adaptation au stress et de résolution positive de problèmes, tels que résoudre un problème à la fois, respirer, communiquer vos émotions, ajuster vos scénarios à la réalité en confrontant vos pensées 11 .
- Ne laissez pas les problèmes s'accumuler. Communiquez régulièrement pour éviter que les petits problèmes ne deviennent de gros conflits.
Notre famille d’origine peut grandement influencer nos comportements à l’âge adulte. Toutefois, notre vécu n’est pas tout tracé d’avance. Il est possible de changer nos comportements et d’apprendre à résoudre nos conflits de couple de façon plus saine et positive. L’utilisation des comportements positifs permet des relations riches et satisfaisantes entre les partenaires et c’est toute la famille qui en sort gagnante !
Ressources de crise
Info-Social (811-option 1) ou Info-Santé (811-option 2) : service de consultation gratuit et confidentiel pouvant vous référer vers une ressource appropriée dans le réseau de la santé et des services sociaux ou une ressource communautaire (24h/24, 7 jours)
Écoute Entraide : soutien aux personnes aux prises avec de la souffrance émotionnelle.
- 8h à 22h, 7 jours
- Montréal 514-278-2130 | Sans frais (région) 1-855-365-4463
S.O.S Violence conjugale : services aux victimes, à la population et à toutes les personnes touchées par la violence conjugale.
- 24h/24, 7 jours
- Téléphone 1-800-363-9010 | Texto 438-601-1211
- Téléscripteur (personnes sourdes) : 1-800-363-9010
Pour mieux composer avec vos conflits de couple et la parentalité
Clinique CCCF : Spécialisée en thérapie de couple, la clinique offre sur son site web des lectures, balados et conférences sur la relation de couple. https://clinique-cccf.com/services/articles-balados-conferences/
La Chicanerie : Organisme qui offre des ateliers de développement des habiletés en conflits relationnels. https://www.lachicanerie.com/
Psychologue et maman : Balado animé par la psychologue Nadia Gagnier dans lequel elle donne des conseils aux parents pour mieux composer avec leurs enfants. https://ici.radio-canada.ca/ohdio/balados/10307/psychologue-et-maman
Ça va maman ?: Site web qui offre du contenu pour soutenir la santé mentale des parents. https://www.cavamaman.com/
ÉducoFamille : Site web publiant des articles et des ressources basés sur la science pour les parents et les familles. https://educofamille.com/
La publication de cet article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article: Lassance, L., Paradis, A. et Godbout, N. (2023, 6 novembre). J'ai vu mes parents se disputer agressivement pendant mon enfance. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/jai-vu-mes-parents-se-disputer-agr…;
- 1Dugal, C., Bélanger, C., Brassard, A., et Godbout, N. (2019). A dyadic analysis of the associations between cumulative childhood trauma and psychological intimate partner violence : The mediating roles of negative urgency and communication patterns. Journal of Marital and Family Therapy, 46(2), 337‑351. https://doi.org/gh7v7x
- 2Godbout, N., Daspe, M.-È., Lussier, Y., Sabourin, S., Dutton, D., et Hébert, M. (2016). Early exposure to violence, relationship violence, and relationship satisfaction in adolescents and emerging adults: The role of romantic attachment. Psychological Trauma: Theory, Research, Practice, and Policy, 9(2), 127. https://doi.org/10.1037/tra0000136
- 3Cummings, E. M., Schermerhorn, A. C., Davies, P. T., Goeke-Morey, M. C., et Cummings, J. S. (2006). Interparental discord and child adjustment : Prospective investigations of emotional security as an explanatory mechanism. Child Development, 77(1), 132‑152. https://doi.org/10.1111/j.1467-8624.2006.00861.x
- 4Siffert, A., et Schwarz, B. (2011). Parental conflict resolution styles and children’s adjustment : Children’s appraisals and emotion regulation as mediators. The Journal of Genetic Psychology, 172(1), 21‑39. https://doi.org/10.1080/00221325.2010.5037235
- 5McLaughlin, K. A., Conron, K. J., Koenen, K. C., et Gilman, S. E. (2010). Childhood adversity, adult stressful life events, and risk of past-year psychiatric disorder: A test of the stress sensitization hypothesis in a population-based sample of adults. Psychological Medicine, 40(10), 1647–1658. https://doi.org/10.1017/ S00332917099921216
- 6Keizer, R., et Schenk, N. (2012). Becoming a parent and relationship satisfaction : A longitudinal dyadic perspective. Journal of Marriage and Family, 74(4), 759‑773. https://doi.org/f35cd4
- 7Biaggi, A., et Pariante, C. M. (2015). La trasmissione intergenerazionale dello stress : Fattori di rischio e meccanismi sottostanti [Intergenerational transmission of stress : Risk factors and underlying mechanisms]. Journal of Psychopathology, 21, 40‑47. https://doi.org/10.1016/j.eurpsy.2017.01.146
- 8Grych, J. H., et Fincham, F. D. (1991). Marital Conflict and Children’s Adjustment : A Cognitive-Contextual Framework. Psychological Bulletin, 108(2), 267‑290. https://doi.org/10.1037/0033-2909.108.2.267
- 9 a b Gauchat, A., et Gauthier, N. (2021). Comment mieux s’exprimer en couple. Le Cahier. https://lecahier.com/comment-mieux-sexprimer-en-couple/
- 10Gauchat, A., et Gauthier, N. (2022). Quelques stratégies d’écoute pour votre couple (partie 1). Le Cahier. https://lecahier.com/quelques-strategies-decoute-pour-votre-couple-part…
- 11Centre d’études sur le stress humain. (s. d.). Stratégies d’adaptation. https://www.stresshumain.ca/le-stress/dejouer-le-stress/etape-de-gestio…