On pourrait croire qu’au Québec, les violences gynécologiques et obstétricales appartiennent à un autre siècle. Pourtant, le dernier cas connu de stérilisation forcée se serait produit en 2019 sur une femme autochtone1 . Cela témoigne que cette problématique dommageable est toujours d’actualité, malgré l’évolution des droits sexuels et reproductifs des dernières années.
Les violences obstétricales et gynécologiques sont définies comme tout acte médical exercé dans un climat de pression et de peur empêchant les patient·e·s de fournir leur consentement1 . Ces actes peuvent survenir dans un contexte :
- De grossesse et de naissance (contexte obstétrical) : ils peuvent inclure la césarienne, la stérilisation forcée ou l’hystérectomie – le retrait de l’utérus, l’avortement forcé, etc. ?
- De tout autre soin gynécologique apporté aux personnes avec un utérus : ils peuvent se produire durant un test de dépistage d’ITSS, un pap test, la pose d’un stérilet, la ligature des trompes, etc.
Ces actes peuvent être pratiqués délibérément ou inconsciemment par le personnel de la santé1 , 2 , 3 , 4 , 5 . Les violences gynécologiques et obstétricales perpétrées spécifiquement auprès des femmes autochtones sont très peu documentées et discutées au Québec1 . Toutefois, les femmes autochtones sont plus nombreuses à vivre ces formes de violences1 .
Dans l’histoire
Le phénomène des violences obstétricales et gynécologiques s’inscrit dans un mouvement visant à décourager la reproduction dans les populations noires et autochtones2 , 4 , 8 . Au Canada, la stérilisation forcée a été permise en Alberta et en Colombie-Britannique2 , jusqu’à il y a une cinquantaine d’années. Ces règlementations permettaient de recommander la ligature des trompes sur une femme considérée par le corps médical comme étant mentalement inapte à devenir mère2 , 7 . En effet, les personnes considérées comme étant moins intelligentes ou celles ne correspondant pas aux attentes sociales (par exemple, une femme ayant plusieurs partenaires sexuel·le·s) pouvaient être jugées inaptes à se reproduire7 . Bien que ces lois aient été abolies, ces pratiques se sont poursuivies en plaçant entre autres les femmes autochtones plus à risque de vivre ces violences.
Un portrait difficile à dresser au Québec
Au Québec, le dernier cas connu de stérilisation forcée se serait produit en 20191 , 6 . Une recherche ayant récolté le témoignage de femmes autochtones souligne que plus de la moitié d’entre elles (60%) ont subi des violences obstétricales et une stérilisation forcée1 . Dû à toutes les violences qu’elles subissent, les femmes autochtones se méfient des autorités policières et du système de justice québécois, ce qui pose un frein sérieux à la dénonciation des violences obstétricales et gynécologiques. En ce sens, celles-ci sont probablement sous-estimées1 . Les données restent donc difficiles à collecter et les témoignages difficiles à obtenir.
Les témoignages de celles qui ont parlé
La stérilisation forcée a souvent lieu avec d’autres types de violences obstétricales et gynécologiques3 . Des survivantes de violences obstétricale et gynécologique ayant témoigné ont rapporté plusieurs expériences de violences, comme :
- La douleur qui n’est pas prise en compte ou au sérieux. Par exemple, les femmes peuvent être accusées d’exagérer les niveaux de douleurs ressenties1 , 3 .
- La violence qui peut être vécue dans l’inaction ou l'omission des professionnel·le·s de la santé1 . Cela peut se manifester en ne croyant pas les patientes, en n’évaluant pas tous les problèmes rapportés par celles-ci, en ne répondant pas clairement à leurs questions, ou en ne leur offrant pas tous les choix possibles de contraception. Cela se traduit aussi par l’absence de consentement pour prodiguer des soins, comme lorsque les formulaires de consentement ne sont pas fournis dans des langues parlées par les personnes recevant les soins.
- La violence physique qui est commise par des gestes brusques, comme fermer les jambes de la patiente alors qu’elle est sur le point d’accoucher, ou exercer des touchers non consentis lors d’examen génital1 , 3 , 6 .
- La violence psychologique qui s’exprime par un langage non verbal véhiculant de l’exaspération (soupirs), de la colère, de la condescendance ou de l’agacement. Celle-ci peut aussi s’exprimer par de la pression à consentir à des interventions, comme chez des patientes qui rapportaient avoir accepté une ligature des trompes dans un contexte de contrainte et de peur1 , 3 , 6 .
- La violence verbale qui se reflète par des propos et commentaires empreints de jugement, de sexisme, de mépris et de racisme, comme ceux tenus par du personnel de l’hôpital de Joliette à l’égard de Joyce Echaquan. La violence verbale peut aussi prendre la forme de critique, par exemple envers les habiletés parentales des personnes, le choix du nombre d’enfants ou le mode de vie. Enfin, cela peut s’exprimer par la diffusion de stéréotypes sur les origines autochtones, comme celui suggérant que des personnes tombent enceintes à répétition afin de recevoir des prestations financières1 , 3 , 6 .
Les expériences rapportées briment de plusieurs façons les droits des femmes autochtones. De plus, ces violences entraînent des conséquences très importantes chez les survivant·e·s :
- Sur le plan physique, des désordres hormonaux liés à l’hystérectomie ou des douleurs aux suites d’interventions brusques1 .
- Sur le plan psychologique, l’incompréhension des symptômes et l’impact des conséquences physiques qui contribuent à la détérioration du bien-être psychologique1 .
- Sur le plan interpersonnel, l’impossibilité de fonder une famille ou de procréer à nouveau amène un sentiment profond de culpabilité, de regret ou de honte et impacte les relations1
. De plus, cela cause des ruptures de confiance envers les institutions médicales et le personnel de la santé1
, 2
, 3
.
En retour, cela peut nuire à la santé des femmes autochtones comme elles deviendraient plus réticentes à consulter.
Recommandations
Afin d’améliorer la santé et les droits des femmes autochtones au Québec, certaines recommandations peuvent être mises de l’avant pour favoriser des changements nécessaires :
- Il est important de reconnaître la présence des violences obstétricales et gynécologiques auprès des femmes autochtones1 . Il est suggéré de mettre en action des campagnes de sensibilisation sur les violences obstétricales et gynécologiques. Cela pourrait avoir pour effet que les professionnel·le·s de la santé soient sensibilisé·e·s et mieux outillé·e·s face à cette patientèle. Les patient·e·s pourraient être davantage au courant de leurs droits en matière de soins obstétricaux et gynécologiques, ce qui pourrait contribuer à prévenir les dérapages.
- Il est important pour les professionnel·le·s de la santé de se familiariser avec les réalités vécues par les femmes autochtones recevant des soins. Pour y parvenir, le gouvernement doit embaucher davantage de professionnel·e·s issu·e·s des communautés autochtones3 . Il est aussi recommandé d’adopter une posture favorisant la reprise de pouvoir des femmes autochtones sur les décisions qui concernent leur santé sexuelle et reproductive3 . Cela passe par le consentement libre et éclairé et par la sécurisation culturelle des espaces de soins, par exemple, en permettant l’accès à des guides spirituel·le·s, en fournissant des formulaires de consentement dans la langue parlée par la·le patient·e ou en s'assurant de fournir des interprètes en cas de besoin1 .
- Dénoncer les injustices et mettre en place des mesures concrètes semble une approche de choix pour réparer la confiance des patient·e·s envers le corps médical. Cela représente un premier pas important vers l’accès à des soins plus équitables2 .
Malgré les avancées concernant les droits sexuels et reproductifs, il est troublant de constater que les violences gynécologiques et obstétricales persistent au Québec, particulièrement auprès des femmes autochtones. Il est impératif de reconnaître cette réalité et d’agir collectivement pour mettre fin à ces pratiques inacceptables. Le courage des survivant·e·s qui témoignent des répercussions profondes de ces violences dans leur vie, peut nous inspirer à œuvrer ensemble vers un système de soins obstétricaux et gynécologiques plus équitable, respectueux et attentif aux droits de chaque personne.
Cet article de blogue a originalement été rédigé dans le cadre du cours Victimisation sexuelle et interpersonnelle enseigné par notre membre Marianne Girard, au département de sexologie de l’UQAM à l’automne 2022. La publication de article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
- 1 a b c d e f g h i j k l m n o p q r s Basile, S. et Bouchard, P. (2022). Consentement libre et éclairé et stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec. [Rapport de recherche]. Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. https://files.cssspnql.com/s/oPVHFaKIp8uw5oF
- 2 a b c d e f Clarke, E. (2021). Indigenous women and the risk of reproductive healthcare: Forced sterilization, genocide, and contemporary population control. Journal of Human Rights and Social Work, 6(2), 144–147. https://doi.org/10.1007/s41134-020-00139-9
- 3 a b c d e f g h i Davis, D.-A. (2019). Obstetric racism: The racial politics of pregnancy, labor, and birthing. Medical Anthropology, 38(7), 560–573. https://doi.org/10.1080/01459740.2018 .154 9389
- 4 a b El Kotni, M., et Quagliariello, C. (2021). L’injustice obstétricale : Une approche intersectionnelle des violences obstétricales. Cahiers du genre, 71, 107-128. https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.3917/cdge.071.0107
- 5Lausberg, S. (2020). Violences obstétricales, un enjeu de la lutte contre les violences envers les femmes. Périnatalité, 12(4), 157–164. https://doi.org/10.3166/rmp-2020-0097.
- 8Stote, K. (2022). From eugenics to family planning: The coerced sterilization of Indigenous women in post-1970 Saskatchewan. Native American and Indigenous Studies, 9(1), 102-132. http://doi.org/10.1353/nai.2022.0013
- 7 a b Stote, K. (2019). Sterilization of Indigenous women in Canada. Dans The Canadian Encyclopedia. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/sterilization-of-indi… -women-in-canada
- 6 a b c d Novello-Vautour, K. (2021). Discriminer le miracle de la vie : La violence obstétricale chez les personnes noires et autochtones dans les institutions de santé au Canada. [Mémoire de maîtrise]. Université d’Ottawa. http://hdl.handle.net/10393/42722