Lou a commencé à suivre des cours de yoga avec une amie. Lors des séances, Lou se sent comme s’il était pris dans une grotte sombre, sans lampe de poche. Tourner son attention vers soi est terrifiant, tellement qu’il refuse désormais de fermer les yeux lorsque la professeure le demande. Au fil des séances, Lou anticipe certaines postures et sursaute lorsque la professeure ajuste sa position. Afin d'augmenter son sentiment de sécurité, Lou se place désormais près de la porte, prêt à quitter la salle à tout instant. Pourtant, il avait commencé le yoga pour reprendre contact avec son propre corps et voilà qu’il se sent encore plus mal à l’aise et loin de son objectif !
Le yoga rassemble un ensemble de pratiques qui incorpore notamment des postures physiques, des exercices de respiration et des techniques de méditation1 . Il invite à porter attention aux expériences sensorielles et peut ainsi aider à rétablir une connexion avec soi, son corps et son monde intérieur. Par le fait même, le yoga peut redonner un sentiment de contrôle sur son propre corps en amenant à prêter attention au moment présent1 . La pratique du yoga peut sembler simple pour certaines personnes, mais pour d'autres, elle peut être déstabilisante, voire effrayante.
Comme près des deux tiers des Canadien·ne·s, Lou a vécu de la négligence et de la violence qui l’ont traumatisé durant son enfance2
. Les événements traumatiques impliquent des expériences qui dépassent les capacités d'adaptation d'une personne2
. L’exposition à un événement traumatique peut occasionner de l'anxiété, des symptômes dépressifs, des problèmes de comportement, des troubles alimentaires3
.De plus, les événements traumatiques peuvent engendrer des douleurs corporelles inexpliquées et un blocage émotionnel se traduisant par une incapacité à exprimer ses émotions3
. Comme pour beaucoup des personnes survivantes d’événements traumatiques, Lou a eu du mal à comprendre et à exprimer ce qu’il ressentait au quotidien, après les expériences difficiles qu’il a vécues. Il s’est mis à avoir de la difficulté à prendre contact et à ressentir son corps, en plus d’éprouver de la peur et de l’hypervigilance.
Par le yoga, Lou souhaitait se connecter à son corps pour éventuellement reprendre le contrôle de celui-ci. Cela dit, sa pratique de yoga n’a pas eu les effets bénéfiques attendus puisque les cours n’étaient pas adaptés aux besoins d’une personne ayant vécu des traumas. Par exemple, lorsque l’enseignante place son corps sans l’avertir ou dicte les postures de façon directive, Lou ne se sent pas en sécurité dans son corps. Au contraire, il a l’impression qu’une autre personne le contrôle, ce qui déclenche des émotions désagréables et réactive des souvenirs douloureux. Lou se positionne près de la porte pour avoir une issue de secours disponible en cas de besoin, ce qui répond à son besoin instinctif de sécurité. Ce comportement témoigne de son état de vigilance élevé, puisqu’il cherche des moyens de s'échapper ou de se protéger en cas de situation stressante ou menaçante. De plus, dans le but de contrôler son anxiété, Lou évite de fermer les yeux pendant le cours. De cette façon, il évite de se confronter à des pensées intrusives ou au malaise de se pencher sur ses expériences corporelles, qui pourraient être déclenchées lorsqu’il ferme les yeux. Finalement, son appréhension à faire certaines postures pourrait découler de douleurs corporelles inexpliquées issues de ses expériences traumatiques, intensifiant ainsi son malaise pendant la pratique du yoga.
Les bienfaits du yoga pour les personnes ayant vécu des traumas
La pratique du yoga peut être bénéfique pour les personnes qui ont vécu des événements traumatiques2
, notamment pour les aider à rétablir un lien sain avec leur corps et leurs sensations internes. Toutefois, des mesures concrètes doivent être mises en place pour éviter qu’elles revivent les événements traumatiques et que leurs symptômes s'aggravent (p.ex., faire des rêves ou avoir des pensées intrusives après un cours, être déconnecté·e de ses pensées ou de son sentiment d'identité, se sentir sur le qui-vive ou irritable).
Dans les bonnes conditions, le yoga peut être bénéfique pour réduire les symptômes post-traumatiques puisqu’il permet de se reconnecter avec ses expériences sensorielles, en respectant son propre corps3
. À travers la pratique, des expériences difficiles à accueillir, comme des sensations désagréables ou des émotions difficiles, peuvent devenir de plus en plus tolérables, alors qu’on apprend à les observer et les accepter sans jugement. Cet apprentissage qui consiste à tolérer les émotions désagréables tout en respectant ses limites personnelles, encourage également l'autocompassion. Cela fait référence à la capacité de se traiter avec la même bienveillance et compréhension que l'on offrirait à un·e ami·e dans des circonstances similaires4
,5
. En retour, mieux gérer ses émotions permet de s'adapter plus facilement et de surmonter les symptômes post-traumatiques.
Le yoga peut favoriser une ouverture à ses expériences physiques et sensorielles sans se sentir submergé·e, même par celles qui sont associées à la peur et à l'impuissance. Cette nouvelle tolérance favorise une reprise de contrôle et de pouvoir, ce qui est un principe fondamental dans le rétablissement post-traumatique6
. Toutefois, pour éviter de mauvaises expériences comme celles de Lou, il est important de s’écouter et de pratiquer le yoga dans un contexte sensible au trauma.
Qu’est-ce que le yoga sensible au trauma ?
Le yoga sensible au trauma implique de créer un environnement sécuritaire où la retraumatisation est évitée et où les pratiquant·e·s sont encouragé·e·s à avoir le contrôle et le pouvoir sur leur propre corps2
. La pratique met l'accent sur la curiosité face à ses sensations corporelles. Elle encourage l'utilisation de termes tels que « remarque » et des invitations comme « quand vous serez prêt·e » et « si vous le souhaitez », ce qui permet de créer un environnement propice à l'exploration, à la conscience de soi et au respect de son rythme et ses limites. Cette approche permet aux pratiquant·e·s de prendre les rênes de leur expérience de yoga et les encourage à adapter leur pratique selon leurs besoins (p. ex., lorsqu’iels souhaitent changer de posture ou prendre des pauses)2
,7
. On peut se concentrer sur la respiration, sur la sensation des pieds contre le sol, ou encore sur la perception des sons ou des couleurs dans l'environnement. Ces points d'ancrage offrent des alternatives pour maintenir une présence consciente pendant la pratique du yoga, ce qui permet de ressentir ce qui nous convient dans le moment.
Dans les studios de yoga sensibles au trauma, plusieurs mesures sont mises en place pour créer un environnement adapté. Tout d'abord, maintenir un environnement sans parfum vise à prévenir le déclenchement de souvenirs ou réactions émotionnelles chez les personnes ayant vécu des expériences traumatisantes qui pourraient être sensibles aux odeurs. De même, on demande le respect du consentement avant de proposer des ajustements. En pratique, cela implique de toujours demander avant de toucher quelqu'un et de fournir des cartons à côté du tapis afin d’indiquer clairement si on ne veut pas d'ajustements de posture. Certains studios vont jusqu'à proscrire l'utilisation de miroirs dans leurs espaces de pratique pour éliminer la pression liée à l'apparence et à la performance physique. L'absence de miroirs permet aux participant·e·s de se concentrer sur leurs sensations corporelles afin de vivre une expérience centrée sur le ressenti, plutôt que sur l’apparence de la posture. De plus, la mise à disposition d'espaces individuels pour se changer et de toilettes non genrées contribue à créer un environnement inclusif, où chacun·e qui le désire, peut se sentir à l'aise dans son identité et son intimité.
Comment choisir un studio de yoga ayant une approche sensible au trauma
- Recherchez en ligne : consultez le site web du studio de yoga pour voir s'il mentionne des pratiques sensibles au trauma, des valeurs inclusives ou des initiatives spécifiques pour créer un environnement sûr et respectueux.
- Contactez le studio : posez des questions ! Vous pouvez demander si le studio offre des cours sensibles au trauma, si des politiques de consentement sont en place, ou si le studio fournit des informations sur les instructeur·ice·s formé·e·s à cette approche.
- Parlez aux instructeur·ice·s : si possible, discutez avec les instructeur·ice·s du studio pour en apprendre davantage sur leur approche et leurs connaissances en matière de yoga sensible au trauma. Posez des questions sur leur formation et leur expérience dans ce domaine, ainsi que sur les bienfaits potentiels de divers types de yoga pour les survivant·e·s de trauma (p.ex., yin, vinyasa, hatha).
- Visitez le studio : assister à un cours ou visiter le studio en personne peut vous donner une idée de l'ambiance et de l'environnement. Portez une attention particulière à la manière dont les instructeur·ice·s interagissent avec les élèves et à l'atmosphère générale. Ce qui compte avant tout, c'est que vous vous sentiez à l'aise et respecté·e.
- Faites confiance à votre instinct : si quelque chose vous semble inconfortable ou inapproprié, ne vous forcez pas à rester. Choisissez un studio où vous vous sentez en sécurité et soutenu·e dans votre pratique du yoga.
Suggestions de sites web:
Trauma Center Trauma-Sensitive Yoga (TCTSY)
The Center for Trauma and Embodiment at Justice Resource Institute.
La publication de cet article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article: Willard-Martel, N., Deslauriers, F., Cécire, P. et Godbout, N. (2024, 25 juin). Comment le yoga sensible au trauma peut-il favoriser la résilience ? Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/comment-le-yoga-sensible-au-trauma…
- 1 a b van der Kolk, B. A., Stone, L., West, J., Rhodes, A.M., Emerson, D., Suvak, M., et Spinazzola, J. (2014). Yoga as adjunctive treatment for chronic PTSD. The Journal of Clinical Psychiatry, 75(6), p.559–565. https://doi.org/10.4088/JCP.13m08561
- 2 a b c d e Gouvernement du Canada, S. C. (2022). Le Quotidien—Enquête sur la santé mentale et les événements stressants, août à décembre 2021. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220520/dq220520b-fra.htm
- 3 a b c Rhodes, A.M. (2014). Yoga for Traumatic Stress: A Three Paper Dissertation. [Thèse doctorale, Boston College].
- 4Taylor, McLean, Korner, Stratton, et Glozier. (2020). Mindfulness and yoga for psychological trauma: systematic review and meta-analysis. Journal of Trauma & Dissociation, 21(5), 536–573. https://doi.org/10.1080/15299732.2020.1
- 5Winders, S.-J., Murphy, O., Looney, K., et O'Reilly, G. (2020). Self-compassion, trauma, and posttraumatic stress disorder: A systematic review. Clinical Psychology & Psychotherapy, 27(3), 300-329. doi: https://doi.org/10.1002/cpp.2429
- 6J. Herman. (1992). Trauma and Recovery. Basic Books.
- 7West, J., Liang, B., et Spinazzola, J. (2017). Trauma sensitive yoga as a complementary treatment for posttraumatic stress disorder: a qualitative descriptive analysis. International Journal of Stress Management, 24(2), 173–195. https://doi.org/10.1037/str0000040