Imagine ceci : tu te connectes sur ton compte Facebook ou Instagram, puis tu tombes sur une ancienne photo de ta·ton partenaire amoureux·se avec son ex. Même si tu sais qu’il s’agit d’une vieille photo, tu ne peux empêcher ce monstre aux yeux verts de s’éveiller en toi : la jalousie. Des questions défilent dans ta tête pendant que tu tentes de te calmer, mais en vain. Tu franchis une étape de plus et tu commences à consulter le profil de ta·ton partenaire. À ton insu, plusieurs heures ont passé, et tu as parcouru chaque racoin du profil de ta·ton partenaire – un comportement que les chercheur·e·s nomment la surveillance interpersonnelle et qui est caractérisé par des stratégies dissimulées pour obtenir de l’information sur l’empreinte numérique d’une autre personne1 . Contre ton gré, tu répètes ce comportement plusieurs fois sans que ta·ton partenaire ne soit au courant.
Si ce scénario te semble familier, il est fort probable que tu ne sois pas la·le seul·e ! En fait, 34 % des jeunes adultes âgé·e·s de 18 à 29 ans rapportent se sentir jaloux·ses dû aux interactions de leur partenaire sur les médias sociaux2 . De plus, une étude a démontré qu’au sein d’un échantillon d’utilisateur·trice·s Facebook, la surveillance interpersonnelle était le second motif le plus endossé quant à l’utilisation de l’application3 .
De nos jours, les médias sociaux jouent un rôle clé au sein des relations amoureuses des jeunes adultes, avec 90% de cette population étant active sur au moins un média social4 . Plus précisément, le grand accès et la constante connectivité que les médias sociaux permettent ont des impacts sur les relations amoureuses des jeunes adultes5 . D’ailleurs, ces données susmentionnées révèlent que l’usage répandu des médias sociaux peut avoir des répercussions sur nos états émotionnels, nos comportements, et nos relations intimes.
En outre, les plateformes comme Facebook et Instagram sont intégrales à différentes étapes d’une relation intime, telles que l’initiation, le maintien, la séparation et la post-séparation6 . Par exemple, les médias sociaux ont permis à des individus de former des relations amoureuses7 . De plus, les interactions en ligne avec un·e partenaire amoureux·se semblent contribuer au maintien de la relation. En effet, les médias sociaux permettent aux partenaires de communiquer publiquement, à travers des gestes symboliques, un désir de continuer à s’investir dans la relation8 . Par exemple, démontrer ouvertement de l’affection à un·e amoureux·se sur les médias sociaux (tel que commenter des mots affectueux sur une publication d’un·e partenaire intime) est associé à une plus grande satisfaction et à une longévité de la relation9 .
Cependant, les médias sociaux sont aussi centraux dans la dissolution d’une relation : retirer un·e partenaire de sa liste d’ami·e·s, la·le bloquer ou mettre à jour son statut relationnel font partie des nombreux comportements effectués à la suite d’une rupture10 . De plus, la surveillance interpersonnelle peut être un comportement émis après une rupture pour épier un·e ex-partenaire11 .
Alors que l’usage des médias sociaux peut apporter des bénéfices à une relation amoureuse, il peut aussi être la source de conflits12 . Plusieurs études ont démontré que les interactions en ligne avec un·e partenaire, telles que la publication de photos avec son amoureux·se, aimer ou commenter les publications de sa·son partenaire, sont associées à une meilleure qualité relationnelle13 . En revanche, la jalousie provoquée par le contenu sur les médias sociaux d’un·e partenaire ainsi que la surveillance interpersonnelle diminuent significativement la satisfaction à l’égard de la relation14 . Par exemple, les médias sociaux déclenchent rapidement des sentiments de jalousie puisque les individus sont facilement exposés à du contenu ambigu à propos de leur partenaire amoureux·se (p. ex.: une photo d’un·e partenaire avec une personne attirante)15 . Autrement dit, ces signaux ambigus sont souvent interprétés comme une menace à l’intégrité de la relation. Selon la perspective de rétention d’un·e partenaire, qui postule que les individus adoptent certains comportements pour éviter de perdre leur partenaire, la jalousie est un sentiment qui amène une personne à agir face à une menace perçue afin de protéger sa relation16 , 17 .
Par ailleurs, la surveillance interpersonnelle peut être expliquée par la théorie de la réduction de l’incertitude. Cette théorie affirme que, dans les moments où des partenaires font face à une incertitude à propos de leur relation ou, en d’autres mots, s’iels ont des doutes à propos du sérieux ou du futur de leur relation, iels peuvent ressentir l’envie de réduire ce sentiment18 . En retour, l’information recherchée en surveillant le profil en ligne d’un·e partenaire peut réduire ces doutes en apaisant les inquiétudes quant à l’état de la relation. Cependant, ces comportements sont intrusifs et sont associés avec une moindre qualité relationnelle.
De manière intéressante, une étude a découvert que les journées où davantage de jalousie était ressentie au sein d’une relation, les individus s’identifiant comme femmes passaient plus de temps à surveiller leur partenaire sur Facebook19 . Ces résultats ne sont pas surprenants étant donné que les études ont révélé une forte association entre la jalousie et la surveillance interpersonnelle. Cela suggère également que les sentiments de jalousie déclenchés par les médias sociaux d’un·e partenaire amoureux·se peuvent mener à la surveillance interpersonnelle.
Qui plus est, la recherche indique que certaines caractéristiques prédisent la jalousie et la surveillance interpersonnelle. Parmi celles-ci se trouvent des traits tels que le genre auquel la personne s’identifie et le style d’attachement, qui est défini par la manière dont les individus façonnent leurs relations intimes avec autrui. En effet, les personnes s’identifiant comme femmes apparaissent plus sujettes à se sentir jalouses suite à l’interaction avec du contenu de leur partenaire sur les médias sociaux14 . Elles surveilleraient aussi les comptes de leur partenaire amoureux·se plus souvent que les personnes s’identifiant comme hommes. D’ailleurs, une étude a démontré que les individus ayant un style d’attachement anxieux – caractérisé par des doutes sur leur valeur personnelle et une peur de l’abandon – sont plus à risque de vivre de la jalousie en lien avec le contenu numérique de leur partenaire et d’émettre des comportements de surveillance14 . Malheureusement, la jalousie et la surveillance interpersonnelle peuvent entraver le développement d’une relation saine. En ce sens, si ces phénomènes sont centraux dans la dynamique de ta relation, il peut être une bonne chose d’aborder l’« éléphant dans la chambre à coucher » avec ta·ton partenaire. La communication est certainement la clé dans ce type de situation. Mettre des limites claires avec ta·ton partenaire concernant les médias sociaux et discuter des contenus qui peuvent susciter de vives réactions émotionnelles peuvent être deux stratégies aidantes. De plus, comme il se peut que tu utilises la surveillance interpersonnelle en cas de doute sur l’état de ta relation, il peut être plus approprié de nommer ces préoccupations à ta·ton partenaire plutôt que d’émettre des comportements intrusifs. Bien que ce ne soit pas facile à faire, ces stratégies peuvent favoriser un usage plus sain des médias sociaux, en plus d’agir comme facteurs de protection face aux conséquences non désirées des interfaces numériques sur les relations amoureuses.
La publication de article a été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Pour citer cet article : Métellus, S. (2021, 22 novembre). Chéri·e, parlons de l’éléphant dans la chambre à coucher : Utilisation des médias sociaux, jalousie et surveillance interpersonnelle au sein des relations amoureuses des jeunes adultes. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/cherie-parlons-de-lelephant-dans-la-chambre-coucher
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