La maltraitance dans l’enfance (abus, négligence) a de nombreuses conséquences négatives à long terme sur les survivant·e·s (état de stress post-traumatique dont les symptômes incluent l’hyperréactivité, l’évitement, et les intrusions ou la reviviscence3 ,4 ; trauma complexe et autres troubles de santé mentale ; difficultés avec l’attachement, etc…)1 . Une des conséquences associées à la maltraitance est l’adoption de stratégies d’évitement telles qu’éviter les personnes ou situations pouvant rappeler les événements traumatiques, ou éviter de penser à ces événements ou de ressentir les émotions y étant associées. Ces stratégies sont adoptées pour gérer les émotions, sensations corporelles et pensées désagréables associées aux traumas1 . Cette stratégie est aidante à court terme, mais devient ensuite un obstacle à la guérison. De plus, les personnes survivantes de ces traumas vivent souvent des difficultés relationnelles comme des défis à résoudre les conflits, une tendance à essayer de dominer ou de contrôler les relations, ou une distanciation face aux autres. Ces difficultés résultent notamment de croyances négatives concernant les autres selon lesquelles iels ne sont pas dignes de confiance et ne seront pas soutenant·e·s1 . En raison de ces difficultés, les survivant·e·s bénéficient de moins de soutien social et sont plus isolées1 .
L’auto-compassion, dont les effets positifs sur la santé mentale ont été démontrés notamment chez les personnes vivant des troubles alimentaires, du stress, de l’anxiété ou de la dépression5 ,6 , pourrait aider à atténuer les conséquences de la maltraitance subie en enfance. L’auto-compassion consiste en une attitude d’ouverture et de bienveillance envers sa souffrance, suivie par un désir de la soulager3 ,7 , en se traitant avec la même attitude bienveillante avec laquelle on traiterait un⋅e ami⋅e dans la même situation8 .
La capacité à l’auto-compassion se développe pendant l’enfance. L’empathie des parents, soit leur capacité à ressentir et à comprendre les émotions de leurs enfants, permet à ces dernier·ère·s d’apprendre à reconnaître et à accueillir leurs émotions7 . Ainsi, les personnes dont les parents étaient chaleureux, empathiques et soutenants ont plus d’auto-compassion que celles dont les parents étaient froids, critiques, voire maltraitants7 . Cela est suggéré par plusieurs études démontrant que les personnes maltraitées dans l’enfance présentent moins d’auto-compassion en comparaison avec les personnes non maltraitées8 ,9 . Ainsi, les personnes maltraitées dans l’enfance ont appris à associer le fait d’avoir besoin ou de recevoir des soins à des émotions difficiles telles que la honte, la colère, la solitude ou la vulnérabilité5 . Par conséquent, recevoir de la compassion peut être vécu comme stressant pour ces personnes, notamment à cause notamment à cause des émotions auxquelles l'acte de recevoir des soins et la compassion peuvent être associées, comme la tristesse ou la colère5 . Il est ainsi recommandé de développer et d’offrir des programmes pour enseigner des pratiques d’auto-compassion aux personnes maltraitées dans l’enfance9 .
Comment l’auto-compassion peut aider les personnes maltraitées durant l’enfance?
L’auto-compassion, telle que conçue dans les études sur le sujet, a trois composantes : 1) la présence attentive (ou pleine conscience) qui consiste à ressentir et comprendre sa souffrance sans jugement, 2) l’humanité commune qui implique de voir sa souffrance comme faisant partie de la condition humaine, et 3) la bienveillance envers soi qui consiste à se traiter avec gentillesse et compréhension7 . Chacune de ces composantes pourrait apporter des répercussions positives pour les survivant⋅e⋅s de maltraitance.
La présence attentive est considérée comme le fondement de l’auto-compassion et implique de rester présent⋅e et ouvert⋅e à son expérience, dans une attitude d’acceptation envers ce qui est vécu à chaque instant3 ,5 . Réciproquement, l’auto-compassion implique qu’une personne s’accepte, en plus d’accepter l’expérience qu’elle vit. Cette acceptation est au cœur de la présence attentive3 . La présence attentive permet de ressentir sa souffrance tout en gardant une distance avec les pensées, émotions, et souvenirs associés aux événements traumatisants, aidant ainsi à s’en différencier (par exemple, « je suis distinct⋅e de ma souffrance »)3 ,5 . Appliquée aux conséquences de la maltraitance, la présence attentive peut aider à diminuer l’évitement des souvenirs et émotions douloureuses associées aux mauvais traitements et leurs intrusions involontaires dans la conscience (par exemple, la reviviscence, les cauchemars). Elle peut aussi diminuer l’absorption excessive dans ses souvenirs et son histoire traumatique, telle qu’apprendre à se définir autrement que par son trauma3 ,5 .
L’humanité commune consiste à reconnaître que la souffrance, l’imperfection, et les difficultés font partie de la condition humaine. Elle permet de replacer sa souffrance dans ce contexte en se disant à soi-même que la souffrance est normale et fait partie de la vie ou en pensant à d’autres personnes vivant une difficulté ou souffrance similaire3 ,5 . Celle-ci peut aider les personnes traumatisées à se sentir moins isolées en favorisant un sentiment de connexion avec les autres (par exemple, « je ne suis pas seul⋅e à vivre des difficultés »)3 ,5 ,8 . Cette connexion aux autres peut à son tour aider à diminuer l’évitement des autres personnes3 et faciliter la recherche de soutien social, celui-ci favorisant la résilience post-traumatique8 .
La bienveillance envers soi implique de se répondre avec chaleur et gentillesse lorsqu’on vit des difficultés ou de la souffrance3 , comme on le ferait avec un⋅e ami⋅e proche5 . Ainsi, au lieu de résister à sa souffrance (par exemple, en la niant, en l’évitant par des activités de distraction qui peuvent mener à une dépendance, en essayant de la refouler, ou en la projetant sur les autres) ou de se critiquer (par exemple, « je ne suis bon⋅ne à rien »), on lui répond en prenant soin de soi, en s’offrant du soutien et en s’encourageant (par exemple, par des mots, des gestes, ou des actions), voire en se protégeant si besoin (par exemple, en affirmant plus clairement et fortement ses limites)5 . L’effet calmant et apaisant de la bienveillance envers soi peut ainsi aider à diminuer l’auto-critique et la réactivité chez les personnes traumatisées3 ,10 .
Dans l’ensemble, l’auto-compassion pourrait donc aider les personnes traumatisées en3 ,5 ,8 ,10 :
- diminuant l’évitement, la tendance à la rumination et la honte;
- favorisant la régulation des émotions;
- aidant à changer de perspective sur sa souffrance : en la percevant comme une condition inévitable de la vie, plutôt que de la vivre comme une punition, comme certaines personnes maltraitées en enfance ont pu l'intérioriser;
- augmentant le soutien social, et;
- offrant un espace intérieur de sécurité auquel la personne peut retourner quand elle en a besoin.
En conclusion, l’auto-compassion semble une voie prometteuse pour soulager les traumatismes résultant de la maltraitance dans l’enfance. Cependant, il est nécessaire de réaliser plus de recherche sur le sujet, puisque la plupart des études concernant les effets des programmes d’auto-compassion sur les traumatismes et l’état de stress post-traumatique ont été réalisées auprès de vétérans de guerre et non auprès de personnes maltraitées dans l'enfance.
*Cet article a été rédigé dans le cadre du cours Adultes victimes de violence durant l’enfance, enseigné par la directrice de TRACE, Natacha Godbout, à l’automne 2021.
Pour aller plus loin :
- Autocompassion Montréal;
- L'auto-compassion
- Méditations d’auto-compassion;
- Article : L'auto-compassion : Une des clés de la santé mentale;
- Livre : Mon cahier d'autocompassion en pleine conscience par Kristin Neff et Christopher Germer.
Pour citer cet article: Bedeaux, C. (2022, 18 juillet). Apprendre l’auto-compassion pour soulager les traumatismes d’enfance? Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/apprendre-lauto-compassion-pour-so…
- 3 a b c d e f g h i j k l Germer, C. K., et Neff, K. D. (2015). Cultivating self-compassion in trauma survivors. Dans V.M., Folette, J. Briere, D. Rozelle, J.W. Hopper et D.I. Rome (dir.) Mindfulness-oriented interventions for trauma: Integrating contemplative practices. (p. 43-58). The Guilford Press.
- 4Psychomédia (2013,13 mars). Définition: Stress post-traumatique. Repéré à http://www.psychomedia.qc.ca/lexique/definition/stress-post-traumatique.
- 1 a b c d Dugal, C., Bigras, N., Godbout, N., et Bélanger, C. (2016). Childhood interpersonal trauma and its repercussions in adulthood: An analysis of psychological and interpersonal sequelae. Dans G. El-Baalbaki et C. Fortin (dir.), A multidimensional approach to post-traumatic stress disorder - from theory to practice (p. 71-107). IntechOpen. DOI: 10.5772/64476
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- 6Ferrari, M., Hunt, C., Harrysunker, A., Abbott, M. J., Beath, A. P., et Einstein, D. A. (2019). Self-compassion interventions and psychosocial outcomes: A meta-analysis of RCTs. Mindfulness, 10(8), 1455-1473. doi: 10.1007/s12671-019-01134-6.
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